L’usucapion d’un immeuble par une commune

Propos autour de la décision de la Cour de Cassation du 4 janvier 2023 – pourvoi n° D21-18.993.

En 2011, à la question de savoir « si les communes peuvent se prévaloir de l’acquisition de biens au profit de leur domaine public par la voie de la prescription acquisitive trentenaire », il était répondu par le ministère délégué aux collectivités territoriales : « cette modalité d’acquisition de biens ne figure pas parmi celles que prévoit le [CGPPP] » – JOAN 22 mars 2011, p. 2727.

Cette réponse ministérielle venait, en son temps, démentir la jurisprudence judiciaire antérieure – Cass. 3ème civ. 4 janv. 2011, n° 09-72.708 ; Lyon, 1er mars 2011, n° 09/04162.

Elle fut, néanmoins, corroborée par une autre réponse, excluant, à nouveau, l’acquisition par prescription au profit des communes – Réponse min n° 16103, JO Sénat 8 mars 2012, p.643.

Il est vrai, la possession au sens du droit civil c’est à dire non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire est une notion ignorée du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques – CGPPP.

Le principe d’imprescriptibilité des biens du domaine public a eu, pour effet, d’exclure du droit public, la question de la prescription acquisitive ou de l’usucapion qui constitue, en droit civil, par le biais de la possession, un moyen régulier d’acquérir la propriété d’un bien.

Mais, le 4 Janvier dernier, la Haute juridiction indique clairement, dans une décision de principe, que les personnes publiques peuvent acquérir par prescription acquisitive et ce, alors même que les juges du fond émettaient une position contraire.

Des décisions antérieures existaient en ce sens – Cass. 3ème civ, 3 juin 2014, n° 13-15625 , Cass. 3ème; 1er février 2018, n° 16.23200.

Mais, pour l’essentiel et depuis la doctrine ministérielle, ce contentieux judiciaire était propre aux chemins ruraux, immeubles appartenant au domaine privé de l’Etat – art. L.161-1 du Code rural.

Mais alors et, quel que soit la nature de l’immeuble une fois acquis – domaine public ou privé -, les personnes publiques peuvent-elles acquérir par prescription dans les conditions du droit civil ?

La réponse donnée, par la Haute Juridiction, le 4 janvier 2023 apparait sans appel.

La commune est bien fondée à revendiquer, au visa des articles 712 et 2258 du Code civil, la propriété d’une parcelle, sur le fondement de l’usucapion.

Le principe semble donc acquis : si les conditions de la possession telles qu’elles sont indiquées à l’article 2261 du Code civil sont réunies, une commune peut prescrire un bien ou un droit réel immobilier, à l’issue d’un délai de prescription de trente ans, ramené à dix ans si celui-ci est acquis de bonne foi et par un juste titre.

Ce mode d’acquisition de la propriété, né du droit civil peut être revendiqué par une commune et, semble t-il, par l’ensemble des personnes publiques.

Ces dernières bénéficient légalement, par application du Code civil, d’une possession “virtuelle” pour leur permettre de devenir propriétaire et ce, dans deux cas précis.

Selon l’article 539 du Code civil, « les biens des personnes qui décèdent sans héritier ou dont les successions sont abandonnées appartiennent à l’État ».

Ces biens entrent alors dans le domaine privé de l’État qui en est, au départ, possesseur jusqu’à ce qu’il exerce ses droits de déshérence menant à l’appropriation définitive qui aura un effet rétroactif au jour du décès du de cujus.

Selon l’article 713 du Code civil, modifié par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022, “les biens qui n’ont pas de maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés” même si, cette dernière peut y renoncer.

A ces modes d’appropriation de biens au bénéfice des personnes publiques, l’on peut donc ajouter l’usucapion.

La possession telle qu’elle est requise par l’article 2261 du Code civil permet de consolider des situations de fait et, par ce biais, d’acquérir un immeuble et/ou des droits réels immobiliers par l’écoulement du temps.

La maîtrise factuelle de la chose, par une possession utile au sens du Code civil, profite alors aussi aux personnes publiques.

Ainsi et fort heureusement, le droit positif vient contredire les réponse ministérielles de 2011 et 2012.

Le principe selon lequel le CGPPP fixerait une liste exhaustive des procédés d’acquisition par les personnes publiques, ne permettant pas d’en invoquer d’autres et, notamment la prescription acquisitive reste aujourd’hui lettre morte.

En effet, s’il n’existe que des procédés d’acquisition prévus par le CGPPP, les personnes publiques ne pourraient, entre autres, pour devenir propriétaires conclurent un contrat de crédit-bail et/ou une vente en l’état futur d’achèvement.

Il est donc temps d’oublier la doctrine ministérielle de 2011 et 2012.

La Cour de cassation n’a jamais empêché une personne publique de bénéficier de la prescription acquisitive.

En effet, avant les réponses ministérielles en sens contraire. elle admettait ce mode d’acquisition de la propriété.

Ainsi la prescription est admise sur une voie pour laquelle la commune ne disposait d’aucun titre mais pouvait se prévaloir d’une possession plus que trentenaire, attestée par des travaux d’entretien anciens et une affectation continue à la circulation générale – CE, 16 nov. 1991, n° 71102, Jurisdata, n° 1991-047477.

De même, une commune justifiant d’actes de possession trentenaire, par des aménagements publics, un entretien constant et une ouverture au public de la totalité d’une place servant au passage public et à la circulation générale doit être considérée comme le propriétaire de ladite place – Casss. 3ème civ. 25 février 2004, n° 02-20.481.

La décision des juges de droit du 4 janvier 2023 est donc la bienvenue.

La possession pour les communes devient, sans doute possible, une voie d’acquisition de la propriété d’un bien immobilier.

La notion de possession a manifestement trouvé son chemin dans le droit patrimonial des personnes publiques.

La nullité d’une promesse de vente de plus de 18 mois est relative : un second souffle pour le promettant désireux de signer l’acte réitératif d’une telle promesse ?

Le principe est connu de tous : les promesses de vente de biens immobiliers ou de droits réels, promesses de bail à construction ou emphytéotique, authentiques ou unilatérales, portant sur des immeubles ou sur des droits à vocation industriels ou commerciaux, liées ou non à la création d’habitations individuelles ou d’immeubles collectifs, font, obligatoirement, l’objet d’un acte authentique et ce, dès lors qu’elles sont consenties par une personne physique et, que leur durée initiale excède dix-huit mois ou, que leur prorogation, porte leur durée totale de l’acte à plus de dix-huit mois.

Cette norme, issue de l’article L.290-1 du Code de la Construction et de l’Habitation est complétée par l’article L.290-2 du même code. Ce dernier concerne les promesse unilatérales de vente et, fixe, pour l’indemnité d’immobilisation, un montant minimal à verser, à savoir 5% du prix de vente.

Cette indemnité d’immobilisation est le prix de l’option. Le vendeur consent au bénéficiaire l’exclusivité du droit réel ou du bien immobilier qu’il détient.

Ainsi, pendant 18 mois minimum, le vendeur ne peut, en principe, céder son bien à un tiers et le bénéficiaire de l’option conserve la liberté de ne pas opter et donc, de ne pas acheter. L’indemnité sera d’ailleurs due, uniquement, si l’option n’est pas levée par le futur acquéreur et ce, nonobstant l’accomplissement des conditions suspensives prévues au sein de l’acte.

L’irrespect du formalisme de l’article L.290-1 du Code de Construction et de l’Habitation est sanctionnée par la nullité de la promesse qu’elle soit unilatérale ou synallagmatique.

Un acte authentique est donc requis pour la formation de ces promesses de vente de longue durée.

Cette exigence est née, au départ, de l’idée de protéger le promettant, personne physique, face à un professionnel de l’immobilier disposant d’une longue durée pour réitérer, ou non, l’acte authentique ou décider de lever, ou non, l’option.

Le notaire est apparu la personne idoine pour informer le vendeur des conséquences de la paralysie de son bien ou droit immobilier pendant plus de 18 mois et, pour le conseiller au mieux.

L’article L.290-1 du Code de la Construction et de l’Habitation détermine, ainsi, le seul mode admissible d’expression de la volonté des parties, désireuses de signer une promesse de longue durée.

Sans acte authentique, l’accord de volonté n’existe pas et il est donc nul. Cette affirmation sans nuance peut être, néanmoins, éprouvée par la nature de la nullité encourue.

Celle-ci n’est pas précisée par le Code de la Construction et de l’Habitation. Il convient donc, dans le silence du droit spécial, de revenir aux dispositions du Code civil pour connaitre l’essence de cette nullité.

En droit, la nullité absolue est la sanction de la violation d’une règle d’intérêt général -article 1179 du Code civil. Elle est ouverte à tout ceux, pourvus d’un intérêt à agir, voulant contester l’acte. Elle est non susceptible de confirmation.

A l’inverse, la nullité relative protège un intérêt particulier : elle peut être confirmée et, doit être invoquée uniquement par la partie que la loi entend protéger – article 1181 du Code civil.

La question est donc de savoir si l’article L.290-1 du Code de la Construction et de l’Habitation institue un ordre public de protection ou de direction.

Sans doute possible, cette disposition entend garantir au vendeur promettant – particulier profane ou averti ou professionnel agissant en son nom – qu’il a bien conscience de la portée de son acte, engendrant l’immobilisation de son bien ou de son droit immobilier pendant de longs mois, voire quelques années.

C’est donc, en toute vraisemblance, une règle d’ordre public de protection relevant du régime des nullités relatives, institué par l’article 1181 du Code civil.

Et, c’est alors, en toute logique que la Cour de cassation l’a entérinée dans une décision du 26 novembre 2020 – n° 19-14.601- venant, ainsi, confirmer la solution des juges du fond – CA Nimes, 22 octobre 2020, n° 18/03080.

Cette décision statue sur la validité d’un protocole sous seing privé, annexé à un contrat de bail. Aux termes du protocole, les parties s’accordaient sur la vente de l’appartement loué, dans un délai de vingt-quatre mois, prorogable ensuite de douze mois. Les locataires, bénéficiaires de ce protocole, entendaient l’annuler pour non respect du formalisme de l’article L.290-1 du Code de la Construction et de l’Habitation.

La Haute Juridiction adopte la position de la Cour d’Appel : elle rappelle que cette disposition légale protège le seul vendeur. Il est alors aussi le seul à pouvoir agir en nullité, celle-ci étant donc relative.

Cette décision statue sur la validité d’un protocole sous seing privé, annexé à un contrat de bail. Aux termes du protocole, les parties s’accordaient sur la vente de l’appartement loué, dans un délai de vingt-quatre mois, prorogable ensuite de douze mois. Les locataires, bénéficiaires de ce protocole, entendaient l’annuler pour non respect du formalisme de l’article L.290-1 du Code de la Construction et de l’Habitation.

La Haute Juridiction adopte la position de la Cour d’Appel : elle rappelle que cette disposition légale protège le seul vendeur. Il est alors aussi le seul à pouvoir agir en nullité, celle-ci étant donc relative.

La Haute Juridiction adopte la position de la Cour d’Appel : elle rappelle que cette disposition légale protège le seul vendeur. Il est alors aussi le seul à pouvoir agir en nullité, celle-ci étant donc relative.

Cette précision apportée par la Cour de cassation, le 26 novembre dernier, pourrait avoir une portée pratique considérable.

Ainsi, seul le vendeur peut invoquer la nullité d’une promesse sous seing privé de plus de 18 mois.

S’il ne l’invoque pas, l’acte perdure. Il sera donc suivi de la réitération de la promesse par acte authentique.

Cette réitération vaut-elle confirmation de la promesse affectée par la nullité relative?

Pour y répondre, il convient d’analyser les conditions de la confirmation posées par le Code Civil.

La confirmation telle qu’instaurée par l’article 1182 du Code civil suppose que son auteur renonce expressément à se prévaloir de la nullité. Elle ne peut intervenir qu’après la conclusion de l’acte affecté par la cause de nullité. Et, elle est soumise à aucune modalité et, peut être tacite, c’est à dire résulter de l’exécution volontaire de l’acte prétendument nul – article 1182 al.3 du Code civil.

Dès lors, l’acte réitératif pourrait valoir confirmation tacite.

Toutefois, il est prudent et même recommandé de prévoir une clause dans l’acte de vente, actant de la confirmation.

Celle-ci reflètera la connaissance par le vendeur de la nullité de la promesse et sa volonté de renoncer à cette nullité par la réitération de l’acte. La vente sera signée et la nullité de la promesse confirmée.

Le processus contractuel ira alors à son terme.

Et, une nouvelle fois, notre plume se calquera sur le droit positif pour rédiger des clauses et des actes, véritables miroirs de la volonté des parties.


Division primaire, lotissements, permis valant division : retour sur ces distinctions, à l’aune, de la décision du Conseil d’Etat du 12 novembre 2020

La faculté de diviser sa propriété et de parceller une unité foncière témoignent de la libre disposition de nos droits.

Pourtant, chacun de nous le sait : à chaque division foncière projetée dans nos dossiers, les règles d’urbanisme viennent la contrôler, lui donner un régime et nous obligent parfois à l’amender .

Au final, la maitrise de l’opération immobilière suppose d’avoir orchestré et choisi, la division foncière idoine, parmi celles proposées par le législateur. Le défi est donc de trouver laquelle correspondra le mieux à la finalité envisagée par l’aménageur.

Comme un écho, résonne alors cette équation : construire puis diviser ou diviser puis construire ?

La dichotomie est posée : diviser puis construire caractérise une division foncière constitutive d’une opération de lotissement au sens de l’article L.442-1 du Code de l’Urbanisme.

Cette opération suppose d’avoir obtenu “le permis de diviser ” en propriété ou en jouissance, avant toute construction.

Il se traduit par l’obtention d’une déclaration préalable ou d’un permis d’aménager – article L.442-4 du Code de l’Urbanisme -, étant entendu qu’aucune promesse de vente ne peut se signer sans détenir celui-ci. La prudence suppose d’ailleurs qu’il soit purger de tout recours et de tout retrait au jour de la signature de l’avant-contrat.

Réciproquement, construire puis diviser ne serait pas une opération de lotissement et ouvrirait à l’aménageur le champ des possibles.

Telle est l’idée du permis valant division institué par l’article R. 431-24 du Code de l’Urbanisme ou du permis appelant une division primaire résultant de l’article R.442-1 (a) du Code de l’Urbanisme.

Ces deux formes de divisions permettent d’obtenir, avant toute modification parcellaire, l’autorisation de construire.

L’une, suppose une demande de permis de construire, sur une ou plusieurs unité foncières contigues, sur lesquelles plusieurs bâtiments vont se construire.

La demande portant sur une telle opération est un permis de droit commun néanmoins complété par les pièces indiquées à l’article R.431-24 du Code de l’urbanisme : le plan de division, pierre angulaire de l’opération, est un préalable indispensable à ce permis spécifique car, essentiel à son instruction. Et, en présence de voies et d’espaces communs, il est nécessaire aussi de transmettre aux services instructeurs, l’organisation envisagée pour ces derniers : association foncière urbaine, copropriété…

Pour le permis valant division,c’est de l’autorisation d’urbanisme initiale que nait la division

Cette division ne sera pas réalisée avant l’obtention du permis mais interviendra avant l’achèvement du projet : la division du terrain d’assiette suppose un projet de constructions inachevées. Mais, si celle-ci intervient après l’achèvement, le permis valant division devient un permis de droit commun – CAA, Lyon, 4 Juillet 2017, n° 15LY01615 – et la division aussi.

Celle-ci consistera alors à diviser une propriété bâtie et, en fonction du territoire sur laquelle elle est située, une autorisation sous forme de déclaration préalable -article L.115-3 du Code de l’Urbanisme – pourrait être requise pour parvenir à morceler cette unité foncière en plusieurs parcelles bâties.

A ce permis valant division, s’ajoute une catégorie de divisions foncières, dites “primaires, instituées par l’article R.442-1 (a) du Code de l’Urbanisme : l’autorisation de construire portera sur une partie de l’unité foncière alors même que la division de terrain sera réalisée plus tard, une fois le permis obtenu. Les constructions envisagées doivent être autres qu’une maison individuelle au sens de l’article L.231-1 du Code de construction et de l’Habitation.

Contrairement au permis valant division, les pièces requises pour cette demande de permis ne sont autres que celles d’un permis de droit commun. et aucun plan de division est exigé par le législateur.

Le permis de construire visé par l’article R.442-1 (a) est alors en tous points un permis de droit commun. 

Partant, celui-ci s’il est en cours de validité, peut alors faire l’objet d’un permis modificatif.

La division dite “primaire” ne constitue donc pas un préalable indispensable à l’obtention du permis. Et d’ailleurs, si tel était le cas, cette division relèverait de la procédure de lotissement.

Elles constituent donc une division foncière, non pas dispensée de permis d’aménager et de déclaration préalable propres aux lotissements mais, elle est, plus simplement, exclut du champ d’application de cette règlementation et n’est pas contrôlée en tant que telle.

C’est ainsi que le permis valant division primaire est autonome et se suffit à lui même : le service instructeur appréciera ce permis de manière isolée sans tenir compte d’aménagements éventuels liés à d’autres permis potentiels tandis que l’aménageur poursuit une opération d’ensemble révélée plus tard et à son terme. La technique des divisions primaires successives n’est pas prête de demeurer lettre morte…

Mais alors, la demande de permis liée à une « division primaire » peut elle faire l’objet d’un permis modificatif éventuel et doit elle être déposée sur l’assiette de la propriété ou sur la seule partie où le pétitionnaire sera habilité à réaliser l’opération immobilière envisagée ?

C’est à ces questions pratiques que nous répond le Conseil d’Etat, dans sa décision du 12 novembre 2020 – n° 421590.

Une division primaire s’opère, par définition, après l’obtention du permis de construire, lequel porte donc à sa date de délivrance sur une unité foncière non divisée.

Dès lors, le respect des règles d’urbanisme doit être apprécié au regard de l’ensemble de l’unité foncière existant à la date à laquelle l’administration statue sur la demande, même si cette dernière est informée de la division à venir. 

Le service instructeur examine donc la demande initiale de permis à la date de la demande, abstraction faite de sa division future. Par conséquent, cette demande portera sur la totalité de l’assiette de la propriété et non sur la parcelle destinée à être bâtie.

Il en est de même du permis modificatif : ce permis sera apprécié, sans tenir compte, sur le terrain d’assiette de la division intervenue. Celui-ci pourrait donc porter en amont, sur la modification de l’assiette foncière du projet depuis le permis initial puisque celui-ci est délivré uniquement au regard de la totalité de la parcelle.

A l’exclusion des opérations de lotissement, on le voit, les divisions foncières ont encore de beaux jours devant elles.

Néanmoins, la prudence est de mise : la frontière est ténue entre diviser puis construire ou construire puis diviser.

Il nous faut veiller à ce que chacune de ces divisions ne puissent pas être requalifiées en opération de lotissement et partant en constituer une fraude.

Chaque utilisation de ces différentes techniques de division corresponde à une hypothèse précise dont nous sommes, en quelque sorte, les gardiens.


La purge amiable des inscriptions : une procédure purement conventionnelle

La Cour de cassation s’est prononcée, pour la première fois depuis sa consécration légale, sur la nature de la purge amiable.

Mais, pour échapper à la procédure de purge forcée, la pratique notariale a imaginé une purge amiable, bien avant l’entrée en vigueur de la réforme du droit des sûretés par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, ordonnance qui lui a donné son assise légale.

Sa technique est simple : elle consiste en une répartition amiable du prix de vente de l’immeuble grevé d’inscriptions entre les créanciers inscrits et ce, au plus tard le jour de la signature de l’acte de vente et donc du paiement du prix par l’acquéreur.

Cette pratique use d’une clause connue de notre profession : la clause de nantissement séquestre. Elle permet d ‘assurer en toute sécurité le paiement des créanciers inscrits. Le prix de vente de l’immeuble est remis entre les mains du notaire, en sa qualité de séquestre, mandaté par le vendeur pour désintéresser les créanciers inscrits. Il devient ainsi indisponible à concurrence des sommes restant dues aux créanciers inscrits, dans la limite des montants garantis par les inscriptions et des frais liés aux opérations de mainlevée et de radiation.

Ce montage a été parfois mis à mal par la Haute Juridiction : elle estimait que le prix de vente de l’immeuble était, de plein droit, affecté au paiement des créanciers inscrits – Civ. 2ème, 15 janvier 1992, n° 90-18.206; Civ. 3ème , 8 janvier 1980, n° 78-13.257.

Tel n’est cependant pas le cas d’une vente classique.

Les acquisitions emportant purge de plein droit sont, en revanche, énumérées par des textes spécifiques : il s’agit, entre autres, d’une acquisition suite à une ordonnance d’expropriation – articles L.222-2 et L.222-3 du code de l’expropriation- , d’une vente sur saisie -article L.322-14 du code des procédures civiles d’exécution- ou d’une adjudication judiciaire ou amiable en cas de liquidation judiciaire – article L.642-18 alinea 2 et 3 du code de commerce.

Puis, les juges de droit reconnaissent qu’en l’absence de dispositions conventionnelles, les créanciers inscrits sur l’immeuble ne bénéficient d’aucun droit de préférence sur le prix de vente de l’immeuble grevé – Civil, 3ème, 8 février 2018, n° 16-27.941.

Par conséquent, à défaut d’autorisation expresse en ce sens, le notaire ne peut se dessaisir du prix de vente au bénéfice des créanciers privilégiés et hypothécaires. Ces derniers conservent en revanche, à défaut de mainlevée de leurs inscriptions, leur droit de suite sur l’immeuble à hauteur des inscriptions nées du chef du vendeur.

La pratique notariale, par son imagination, a adopté un montage purement conventionnel permettant ainsi d’obtenir des effets similaires à la purge amiable actuelle.

Cette pratique a donc été entériné par la réforme des sûretés à l’article 2475 du Code civil : “lorsque, à l’occasion de la vente d’un immeuble hypothéqué, tous les créanciers inscrits conviennent avec le débiteur que le prix en sera affecté au paiement total ou partiel de leurs créances ou de certaines d’entre elles, ils exercent leur droit de préférence sur le prix et ils peuvent l’opposer à tout cessionnaire comme à tout créancier saisissant de la créance de prix”.

Sans passer par les voies d’exécution, le créancier peut bénéficier de la purge amiable lors de la vente de l’immeuble, si le vendeur en fait la demande et s’il donne son accord. Le créancier, aura tendance à accepter cette proposition lorsque le prix de vente permet qu’il soit désintéressé.

L’immeuble sera donc libéré de ses inscriptions par le paiement convenu aux créanciers inscrits.

Mais cette procédure conserve une nature purement conventionnelle : elle suppose au préalable un accord entre le ou les créancier (s) inscrit (s) et le débiteur.

Cet accord est le seul à permettre la mise en oeuvre d’une telle procédure.

Les parties ont intérêt à privilégier cette purge amiable : elle facilite l’exercice des droits des créanciers inscrits et permet au vendeur d’obtenir rapidement la part du prix de vente qui lui revient.

Mais faisant fi des avantages certains d’une telle procédure, les vendeurs décident – dans cette décision du 5 mars 2020 – de refuser de procéder à la purge amiable des inscriptions sur l’immeuble; alors même que le créancier a donné son accord.

Ils sont cependant condamnés en appel : les juridictions du fond estiment leur refus illégitime.

Puis, les juges de droit cassent l’arrêt d’appel et se prononcent, pour la première fois depuis la consécration légale de la purge amiable, sur son caractère facultatif.

Ainsi la procédure de purge amiable est aussi bien facultative pour le créancier que pour le vendeur. Si l’un deux la refuse, la purge sera réalisée autrement et de manière “plus brutale” : c’est la purge “forcée” de l’article 2478 du Code civil qui, à ce jour, est une procédure subsidiaire dans la pratique et dans la loi.

Il est donc dommageable tant pour le vendeur que pour le créancier que la purge amiable puisse se solder par un échec.

Mais, il est aussi de notre devoir d’inciter les parties à trouver un accord et à adopter cette procédure de purge. A défaut, il nous est impossible d’y procéder : sans l’accord du créancier et du vendeur, le notaire ne peut la mettre en oeuvre – Civ., 8 février 2018, n° 16-27.941.

La purge amiable est certes conventionnelle et donc facultative mais il nous appartient d’emporter la conviction du vendeur, pour qu’il l’adopte, dans son intérêt et, si le créancier, donne son accord.

Cession de terrain à bâtir, TVA sur marge : nouvelle décision du Conseil d’Etat

A l’aune de la décision du Conseil d’Etat du 27 mars 2020 – n° 428234- , l’application du régime de TVA sur marge requiert deux conditions :

– une acquisition qui n’a pas ouvert droit à déduction ;

– pas de modification entre l’acquisition et la vente, des caractéristiques physiques et juridique de l’immeuble.

Pourtant, et en application de l’article 268 du Code Général des Impôts, seraient concernées par la TVA sur marge les livraisons de terrains à bâtir et, d’immeubles de plus de cinq ans, dont l’acquisition n’a pas ouvert droit à déduction.

Pour exemple, pour une livraison de terrain à bâtir – n’ayant pas ouvert le droit à déduction – la base d’imposition est constituée par la différence entre : le prix exprimé -et les charges qui s’y ajoutent- et soit, les sommes que le cédant a versées pour l’acquisition du terrain, soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature effectués.

Une seule condition est alors exigée par le législateur pour bénéficier de ce régime de TVA sur marge : l’absence de droit à déduction lors de l’acquisition initiale du bien.

Mais, l’analyse du Conseil d’Etat s’avère différente : la TVA sur marge ne concerne pas une cession de terrains à bâtir dont le bâtiment initial a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur-revendeur.

L’administration fiscale ajoute, en effet, une condition supplémentaire pour rendre cette TVA applicable : celle de l’identité de qualification entre le bien acquis et le bien vendu – BOI 3 A-9-10, n° 68, reprise au BOFIP : BOI-TVA-IMM-10-20-10, n° 20.

Cette TVA sera donc exclue lorsque les biens sont transformés, par l’assujetti, entre la date de leur acquisition et celle de la livraison. Tel est le cas de la vente d’un terrain à bâtir issu de la démolition d’un immeuble.

Une telle cession doit, selon l’administration fiscale, être soumise à la TVA sur le prix total de la vente.

Des réponses ministérielles suivent cette voie. Elles indiquent : «la mise en œuvre de ce régime dérogatoire prévu à l’article 268 du Code général des impôts suppose nécessairement que le bien revendu soit identique au bien acquis quant à ses caractéristiques physiques et sa qualification juridique» Rép. min. n° 94538 :  JOAN 20 septembre 2016, p. 8514 , Rép. min. n° 96679 :  JOAN 20 septembre 2016, p. 8522.

En conséquence, à la condition de l’identité de qualification juridique et fiscale est adjoint un autre critère, celui de l’identité physique des immeubles concernés. Cette position peut surprendre dans la mesure où de telles exigences n’apparaissent pas à la seule lecture de l’article 268 du Code Général des Impôts. Pour l’administration fiscale, cette exigence serait implicite, résultant de l’essence même du texte.

Pourtant, les juridictions du fond adoptent des positions contraires – CAA de Lyon, 20 décembre 2018 n° 17LY03359, CAA de Marseille 12 avril 2018 n° 18MA00802 , CAA de Lyon, 7 mai 2019 n° 18LY01019.

La Cour d’Appel de Lyon dont la décision fait l’objet du présent recours devant le Conseil d’Etat- décision du 25 juin 2019, n° L.Y00671- adresse un message clair et précis à l’administration : elle “ne saurait légalement fonder une imposition” et devenir source de droit, par la création de normes.

D’ailleurs, l’article 392 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 dispose : «Les Etats membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition, la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat».

Cette disposition prévoit la possibilité pour les États membres de mettre en place un régime de taxation sur la marge pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir en vue de leur revente, par un assujetti, qui n’a pas eu de droit à déduction lors de l’acquisition du bien. Aucune autre condition est requise.

L’article 268 du Code Général des Impôts est donc une parfaite transposition de cette disposition.

La TVA sur marge ne serait alors plus l’apanage des seuls marchands de biens. Elle serait applicable à toutes les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de leur revente, par un assujetti qui n’a pas eu de droit à déduction lors de l’acquisition initiale du bien.

Mais, ajouter une condition à celle de l’article 268 du Code Général des Impôts, restreint son champ d’application

Le Conseil d’Etat n’a pas entendu les juges du fond.

Et, par cette décision, il confirme que le seul fait de na pas avoir eu droit à déduction lors de l’acquisition initiale est insuffisant pour bénéficier de l’article 268 du Code Général des Impôts : l’identité des caractéristiques physiques et juridiques de l’immeuble entre l’acquisition et la revente est une condition incontournable.

Mais, le changement de qualification juridique d’un bien ne devrait t-il pas rester étranger à l’application de la TVA sur marge conformément au principe de neutralité fiscale en la matière ? Il semblerait que non…

A partir du 1er juin 2020, quelle sera le champ d’application de la copropriété ?

L’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis modifie de manière substantielle le champ d’application du statut de la copropriété posé par la loi du 10 juillet 1965.

Jusqu’au 1er juin 2020, le régime de la copropriété s’applique aux immeubles bâtis dont la propriété se répartit par lots quel que soit l’usage de l’immeuble (art. 1er de la loi de 1965).

Au 1er juin 2020, le régime de la copropriété sera obligatoire pour les seuls immeubles à usage partiel ou total d’habitation.

Et, il devient facultatif pour les immeubles à usage total autre que d’habitation.

Cet apport de l’ordonnance a une portée pratique considérable.

Le champ d’application impératif de la copropriété concerne un immeuble à usage partiel ou exclusif d’habitation.

Conséquences :

Comment déterminer si l’immeuble est ou non à usage partiel ou exclusif d’habitation ?

Il est impossible de s’appuyer sur une simple déclaration des parties dans l’acte.

Il conviendra donc de réunir des éléments matériels et objectifs : il faudra définir l’usage et/ou la destination de l’immeuble. Pour cela, on pourra prendre en compte les éléments d’équipements présents dans l’immeuble, le but de la construction, reprendre, peut-être, les critères posés par la jurisprudence pour le secteur protégé.

Mais cet usage et/ou destination peut être modifié dans le temps et logiquement alors  le statut de la copropriété deviendra facultatif.

Par exemple, si un lot passe à usage de commerce et qu’il ne reste plus aucun lot à usage d’habitation dans l’immeuble, les copropriétaires auront alors la faculté de choisir une autre organisation que celle de loi du 10 juillet 1965.

Enfin, il n’est non plus défini le caractère partiel de l’usage.

Manifestement peu importe que certains lots soient majoritaires par rapport à d’autres.

Ainsi, lorsqu’un immeuble comporte par exemple uniquement 10% de lots à usage d’habitation, ces lots bien que minoritaires feront basculer de manière impérative l’immeuble vers le régime de copropriété.

L’application facultative de la copropriété aux immeubles autres que d’habitation

Auparavant, le statut de la copropriété était applicable aux immeubles bâtis à destination autre qu’habitation (article 1er de la loi de 1965, ancienne version).

Aujourd’hui, l’ordonnance distingue deux catégories de copropriétés : les copropriétés à destination d’habitation soumises impérativement à la loi de 1965 et les autres copropriétés autre que d’habitation, possiblement hors statut.

Dès lors de deux choses l’une :

-Soit aucune organisation n’a été mise en place et ces immeubles  seront soumis de facto au statut de la copropriété

-Soit, une organisation a été mise en place par la signature d’une convention dérogeant expressément à la loi du 10 juillet 1965– article 1er II de la loi du 10 juillet 1965 – et ces immeubles seront exclus du régime de la copropriété.

Cette convention devra :

– préciser que les parties dérogent à la loi du 10 juillet 1965. En l’absence de cette mention impérative, les tribunaux pourraient alors imposer le régime de la copropriété à l’immeuble.

– l’organisation devra se faire par le biais d’une personne morale apte à gérer l’immeuble : il nous faudra veiller à la rédaction de ses statuts. Tel est le cas, par exemple d’une association syndicale libre de propriétaires ou d’une union de syndicats.

L’écoulement du temps sur les travaux et constructions irréguliers : retour sur l’article L.421-9 du Code de l’urbanisme tel qu’issu de la loi ELAN

La pratique notariale est souvent confrontée aux constructions et travaux irréguliers.

Toutefois le Code de l’urbanisme a institué une prescription décennale au-delà de laquelle ces irrégularités ne peuvent pas faire obstacle à de nouveaux travaux.

Ainsi, l’article L. 421-9 introduit dans le Code de l’urbanisme par la loi ENL du 13 juillet 2006 indique : « lorsqu’une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux ne peut être fondé sur l’irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l’urbanisme. (…) ».  Cette prescription administrative décennale est toutefois écartée : « e) lorsque la construction a été réalisée sans qu’aucun permis de construire n’ait été obtenu, alors que celui-ci était requis » ; cet alinéa étant issu, dans sa nouvelle rédaction, de l’article 80 de la loi ELAN.

Dès lors, lorsqu’une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux ne peut être fondé sur l’irrégularité de la construction initiale au regard du droit de lurbanisme – TA Toulon, 26 févr. 2010, Mme Garcin, no 0801606. Et ce, à condition que les travaux  n’aient pas, à  l’époque de leur réalisation, eu besoin de permis de construire.

Sont  donc exclus du bénéfice de la prescription tous les travaux réalisés sans permis de construire, en méconnaissance des prescriptions alors applicables, peu importent qu’ils soient réalisés lors de la construction primitive ou à l’occasion des travaux  apportés à celle-ci et, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de leur importance.

Peuvent, en revanche, bénéficier de la prescription les travaux réalisés irrégulièrement depuis plus de dix ans, dès lors qu’ils relevaient du régime de la déclaration préalable. Par exemple,  une construction initialement autorisée qui aurait fait ultérieurement l’objet de travaux emportant changement de destination mais relevant du régime de la déclaration préalable (C. urb., art. R. 421-14), bénéficiera désormais de la prescription.

Il conviendra donc, en pratique, d’analyser si les travaux irréguliers étaient soumis à déclaration préalable lorsqu’ils furent réalisés.

En pratique, si une déclaration préalable devait présider à la réalisation des travaux, deux hypothèses peuvent se présenter :

Le délai de dix ans n’est pas écoulé, et une nouvelle autorisation est nécessaire au vu des travaux à venir : il sera alors prudent de régulariser, si c’est possible,  les travaux initiaux en déposant une déclaration préalable pour éviter un rejet de la nouvelle demande au motif de l’irrégularité de la construction initiale. Cette régularisation peut se faire par une autorisation globale incluant les anciens et les nouveaux travaux – CE, 13 décembre 2013, n° 349081. Mais, si l’action pénale n’est pas prescrite – soit 6 ans après l’achèvement des travaux -, ces travaux irréguliers sont susceptibles de faire l’objet de sanctions et donc d’amendes au titre de l’article L.480-4 du Code de l’urbanisme.

Si le délai de dix ans, est écoulé, la nouvelle autorisation peut être déposée et ne peut être refusée sur le fondement de l’irrégularité de la construction initiale. Les travaux resteront irréguliers mais ne pourront servir de fondement au rejet d’une nouvelle autorisation pour d’autres travaux. Cette irrégularité pourrait seulement entrainer l’absence de reconstruction à l’identique en cas de sinistre : seuls les travaux ou constructions légaux et donc réguliers bénéficieront de la reconstruction à l’identique.

A l’inverse, les travaux ou constructions réalisés sans permis de construire ou alors qu’il était nécessaire ne bénéficieront pas de l’article L.421-9 du Code de l’urbanisme.

C’est donc le cas lorsqu’ils sont réalisés en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables qui imposaient un permis.

Si la construction était au jour de sa réalisation soumise à permis, toute nouvelle autorisation sur cette construction pourrait donc être refusée car la construction initiale est illégale. Seul,  un permis, s’il est obtenu, viendra a posteriori, donner à cette construction initiale une régularité certaine

Mais, si à l’époque de son édification, aucune autorisation n’était requise, la construction, certes sans permis, bénéficie de la prescription. C’est ainsi que le Conseil d’Etat – CE,3 février 2017, n° 373898– a jugé qu’un bâtiment édifié au XIXe siècle, avant que les lois et règlements ne soumettent les constructions à un régime d’autorisation d’urbanisme, ne pouvait être regardé comme ayant été réalisé sans permis de construire au sens de l’article L. 421-9.

Saisis de ces différentes problématiques, notre analyse est avant tout une analyse du risque.

Ce risque est d’autant plus important si les actions civiles et pénales courent encore. Il s’atténue lorsque les actions sont prescrites et que la construction ou les travaux bénéficient de l’article L.421-9 du Code de l’urbanisme.

Il nous faut alors remonter dans le temps… au temps de la réalisation des travaux ou des constructions pour déterminer avec précision et certitude la nature de l’autorisation requise et en déduire si, achevés depuis plus de dix ans, les constructions ou les travaux profiteront de la prescription décennale.

L’emprise du lieu de situation de l’immeuble en droit international privé (Civ. 1ère, 4 mars 2020)

La Haute juridiction, dans sa décision du 4 mars dernier vient, à nouveau, de souligner l’importance de l’immeuble en tant que critère de rattachement, en droit international privé.

Le créancier d’une indivision avait usé, devant un tribunal Français, de son droit de provoquer le partage – article 815-17 du Code civil- pour être payé de sa dette en assignant, en France, des époux résidents en Algérie. Le bien indivis était un immeuble situé en France. Ce partage judiciaire d’un bien indivis soulevait la question du tribunal compétent en l’absence de toute convention internationale entre la France et l’Algérie.

Deux choix s’offraient aux magistrats.

L’action du créancier est recevable en France et le tribunal saisi compétent en raison de la situation de l’immeuble en France. Ce fut la solution adoptée par la Cour de cassation.

L’action du créancier doit se dérouler devant les tribunaux algériens par extension à l’ordre international de la règle de compétence interne. Celle-ci est l’article 1070 du Code de procédure civile et suppose la compétence du juge des affaires familiales du lieu de résidence de la famille. Ce lieu était situé, en l’espèce, en Algérie et ce fut le choix malheureux opéré par les juges du fond.

En effet, dans l’ordre international, en l’absence de règlement européen ou de convention internationale applicable, trancher un tel litige devient bysantin. Le seul principe applicable, est celui, de l’extension à l’ordre international des règles de compétence de droit interne, “sous réserves des adaptations justifiées par les nécessités particulières des relations internationales” – principes posés par l’arrêt Scheffel le 30 octobre 1962 et nuancés par la Première Chambre civile le 3 décembre 1985 – décision n° 84-11.209.

Il appartient donc aux magistrats de peser les enjeux en cause et de ne pas se limiter uniquement à l’extension à l’ordre international des règles de compétence interne. Cette question est d’importance : en droit international privé, c’est le tribunal compétent qui va se prononcer en fonction de sa règle de conflit pour trancher un litige – sauf clause d’élection de droit lorsque les parties en ont la possibilité.

La détermination de cette compétence est donc, dans l’ordre international, un gage de sécurité juridique pour les plaideurs.

La clé de voute du litige était l’immeuble, patrimoine indivis des époux qui, au terme du partage, donnerait au créancier la possibilité d’être payé sur l’actif partagé. Le créancier était Allemand, l’immeuble situé en France et les époux résidaient en Algérie. Réfutant la compétence du tribunal français, les juges du fond voient leur décision cassée par la Haute Juridiction. Cette dernière estime, que le litige devait se dérouler en France, pays du lieu de situation de l’actif allant servir à désintéresser le créancier poursuivant.

La finalité poursuivie par la Cour de cassation était d’assurer au créancier l’efficacité de son action.

C’est en France que la décision aura force exécutoire et c’est aussi en France que les voies d’exécution éventuelles seront utilisées. Tout autre raisonnement, aurait conduit le créancier à de sérieuses difficultés d’exécution : un fois le jugement algérien rendu, il aurait fallu obtenir l’exequatur de celui-ci pour lui donner force exécutoire en France avant d’entamer la moindre procédure sur l’actif immobilier.

C’est donc bien l’efficacité de l’action du créancier sur l’immeuble qui est au coeur de cette décision. On ne peut d’ailleurs que la saluer. Le pouvoir d’attraction de l’immeuble, centre de gravité de l’opération, a eu raison de l’article 1070 du code de procédure civile dont l’application aurait conduit à éloigner le litige de son “juge naturel”.

Cette décision du 4 mars 2020 est la première décision qui statue sur la question du partage d’un bien indivis en droit international privé en dehors de tout règlement ou convention internationale applicable.

Certes, une décision précédente – Cass. 1ère civ., 20 avril 2017, n° 16-16.983- s’était penchée sur cette question mais, en application de l’article 22, 1° du Règlement (CE) du Conseil n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commercial. Cette disposition, instaure parmi ses compétences exclusives, celle du tribunal du lieu de l’immeuble en “matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles“. C’est ainsi que la Première Chambre Civile avait demandé au juge français de relever d’office son incompétence en faveur du juge espagnol, seul compétent dans un litige entre des résidents français, relatif à la propriété et au partage, d’un immeuble en indivision, situé en Espagne.

Cette décision du 4 mars 2020 le démontre à nouveau : retenir comme élément de rattachement, l’immeuble lorsque le litige porte sur des droits réels immobiliers est, en droit international privé, un gage d’efficacité et de prévisibilité. Si le juge compétent est celui du lieu de situation de l’immeuble, l’on peut penser que la lex rei sitae a encore de beaux jours devant elle.

Libres propos sur le droit de préférence légal,d’ordre public,du preneur d’un local à usage commercial

L’article L. 145-46-1 du code de commerce, création de la loi “Pinel” n° 2014-626, instaure le 18 juin 2014 un droit de préférence légal au profit du preneur d’un local à usage commercial.

Il a immédiatement été source de difficultés nombreuses pour les praticiens dont, celle de son application dans le temps et celle de sa nature : cette disposition est -elle d’ordre public ou supplétive de volonté ?

Considéré, par certains, comme supplétif et non applicable aux baux en cours, l’idée était née d’appliquer cette disposition uniquement aux baux signés après l’entrée en vigueur de la loi “Pinel” soit, après le 18 décembre 2014 et d’insérer des clauses de renonciation à ce droit et donc de l’exclure, dès la conclusion du bail; alors même, que la cession de l’immeuble n’était pas d’actualité au jour de la signature de celui-ci.

Les juges du fond et de droit sont venus mettre de l’ordre entre ces différents points de vue

Dans une décision du 28 juin 2018 – n° 17-14.605.-, la Haute Juridiction affirme, avec conviction, la nature d’ordre public du droit de préférence du preneur d’un local à usage commercial, institué par l’article L.145-46-1 du Code de commerce. Depuis, cet arrêt, le débat sur ce point précis, semble clos : les juges de droit comblent les lacunes de la loi et qualifient un texte d’ordre public alors qu’il n’est pas érigé comme tel, par le législateur.

Néanmoins, avant même cette décision, les rédacteurs d’actes ne se risquaient pas à passer une vente d’un local à usage commercial loué sans, en amont, avoir notifié au preneur à bail une offre de vente tel que l’indique l’article L.145-46- 1 du Code de commerce ; et donc purger son droit de préférence légal.

La prudence était donc de mise.

En effet, la pratique considérait logique de comprendre, dans le silence de la loi, que si le législateur s’était pris la peine d’insérer un droit de préférence légal, c’était, comme pour les autres droits de préemption, pour qu’il soit d’ordre public.

Mais de quel ordre public parle t-on, de l’ordre public de direction ou celui de protection? La question est de prime abord d’importance : dans le premier cas , il est impossible d’y renoncer, dans le second, une fois le droit acquis par le titulaire, il est envisageable qu’il y renonce.

En toute logique, il s’agirait ici d’un ordre public de protection. Ce droit protège un intérêt particulier : il est institué pour pérenniser l’activité du preneur en lui donnant un droit de priorité sur l’acquisition d’un local, dans lequel il exerce souvent son activité, depuis un certain temps.

Ainsi, si ce droit revêt une telle nature, il sera nécessaire d’attendre la décision de vendre du bailleur pour éventuellement proposer au preneur, une fois son droit de préférence né, d’y renoncer.

A l’analyse, il est permis de douter de l’intérêt pratique de cette démarche qui permettrait, à tout le moins, de raccourcir le délai de réponse du preneur à l’offre de vente.

Qu’on se le tienne donc pour dit : aucune renonciation conventionnelle au droit de préférence légal ne peut faire l’objet d’une clause insérée dans un bail au jour de sa conclusion, même si il est précisé que le preneur a parfaitement conscience des effets de cette renonciation. La seule renonciation possible serait celle effectuée au moment où propriétaire envisage de vendre son local.

La renonciation à un droit d’ordre public de protection est impossible tant que ce droit n’est pas acquis et donc ici tant que le processus contractuel de vendre n’est pas entamé.

La Cour d’appel d’Aix en Provence, dans une décision du 3 mars 2020, vient de réaffirmer ce caractère d’ordre public de l’article L.145-46-1 du Code de commerce, mettant ainsi ses pas dans ceux de la Cour de cassation.

Allant au delà de la seule question de la nature d’ordre public de ce droit, elle en déduit les conséquences, lorsque le preneur, ayant émis -suite à la purge de son droit – la volonté d’acquérir, est défaillant et ne réalise pas l’acquisition envisagée dans les délai légaux.

Appliquant l’alinéa 2 de l’article L.145-46-1 du Code qui donne au preneur un délai de deux mois pour la réalisation de la vente – délai porté à quatre mois s’il a recours à un prêt- et, constatant la défaillance des preneurs dans le délai imparti, les juges du fond déclarent la vente parfaite au profit du tiers bénéficiaire.

Ainsi, si la vente, du fait du preneur, ne se réalise pas dans les délais légaux, les juges dénient alors tout effet à ce droit de “priorité”.

En pratique, à défaut de réalisation de la vente par acte authentique dans un des deux délais précités, le bénéficiaire de l’article L.146-45- 1 du Code de commerce perd son droit de préférence légal, de son fait, et, l’acquéreur initial peut, le cas échéant, réaliser la vente à son profit.

Toutefois, même si ce droit de préférence légal est d’ordre public, rien n’empêche les praticiens, de prévoir, lors de la rédaction du bail, un pacte de préférence conventionnel tel qu’institué par l’article 1123 du Code civil et ce, au profit d’un bénéficiaire autre que le locataire.

Primera, bien entendu, le droit de préférence légal du locataire sur le pacte de préférence conventionnel. Mais en cas de refus d’acquérir de celui-ci, le bénéficiaire du pacte sera alors libre de l’acquérir. Et à défaut, l’acquéreur initial, bénéficiaire d’aucun droit ou pacte de préférence pourrait à son tour l’emporter….

Notre plume de rédacteur reste donc libre d’utiliser les règles du Code civil lorsque celles-ci peuvent vivre en harmonie avec des dispositions spéciales d’ordre public.

L’appel est là encore lancé à notre imagination et à notre faculté d’adaptation…


La conclusion d’un avant-contrat sur un bien inaliénable

La Haute juridiction vient de nous délivrer un message : un immeuble, frappé d’une clause d’inaliénabilité peut faire l’objet d’une promesse de vente ; laquelle se réalisera une fois l’inaliénabilité du bien levé. Qu’on se le tienne pour dit : le promettant peut donc disposer de son bien sous réserve de son aliénabilité future.

En d’autres termes, un avant-contrat demeure valable et la vente qui s’ensuit réalisable, à partir du moment où l’interdiction de disposer qui frappait l’acte au départ, disparait.

Dans cette décision de la Troisième Chambre Civile du 30 janvier 2020, une vente ne pouvait se réaliser, en raison d’une donation consentie rendant le bien, objet de l’avant-contrat, indisponible. Mais c’est alors, qu’au cours de la promesse, cet empêchement et levé. Les juges du fond estiment alors la vente régularisable. Les juges de droit confirment cette position : le transfert de propriété aura bien lieu.

Il est aujourd’hui envisageable de disposer d’un bien inaliénable sous réserve de son aliénabilité future

L’acte en cause ne contenait aucune clause ni condition suspensive relative à la disparition de cette inaliénabilité.

Pour autant, les juges du fond et les juges de droit s’entendent : si l’obstacle juridique empêchant la réitération de la vente est levé, la volonté des parties prime et le processus contractuel doit aboutir. La promesse de vente a donc force obligatoire.

Point n’est besoin de suspendre conventionnellement la promesse a cet événement : de facto la Cour de cassation considère que les parties ont nécessairement entendu reporter l’exigibilité de l’obligation à la levée de l’inaliénabilité. Il s’agit d’un terme suspensif entré tacitement dans le champ contractuel : la régularisation de l’acte y est implicitement subordonné.

La rédaction d’une promesse de vente sur un bien indisponible entre dans le champ des possibles

Il est donc clairement concevable de rédiger des promesses de vente sous condition de la disponibilité future d’un bien.

La sécurité et la prévisibilité juridique commandent, cependant, d’aménager, dans nos actes, des clauses précises en ce sens. Et ce, même si la Cour de cassation a, en l’espèce, considéré que les parties avaient tacitement reporté la vente à la disparition de l’inaliénabilité. L’accomplissement de la promesse de vente devrait donc clairement être suspendue à la réalisation d’un terme constitué par la levée de l’indisponibilité du bien.

Le Conseil d’Etat a d’ailleurs ouvert une brèche sur ce sujet : rien ne fait obstacle à ce que un bien du domaine public fasse l’objet d’une promesse de vente sous condition suspensive de son déclassement – décision du CE du 15 novembre 2017, n° 409728. La Cour de cassation lui emboite le pas, par cette décision.

Le message est entendu.

Le relais est pris : il nous est permis de régulariser un acte de vente sur un bien indisponible, au jour de la signature de la promesse, et depuis, devenu aliénable. La date de la signature de l’acte de vente sera alors différée au jour de la levée de cet obstacle juridique.

Une voie est ainsi clairement ouverte : il ne reste plus qu’à l’emprunter avec quelques points d’ancrage…