09 avril 2020 Juridique

Libres propos sur le droit de préférence légal,d’ordre public,du preneur d’un local à usage commercial

L’article L. 145-46-1 du code de commerce, création de la loi “Pinel” n° 2014-626, instaure le 18 juin 2014 un droit de préférence légal au profit du preneur d’un local à usage commercial.

Il a immédiatement été source de difficultés nombreuses pour les praticiens dont, celle de son application dans le temps et celle de sa nature : cette disposition est -elle d’ordre public ou supplétive de volonté ?

Considéré, par certains, comme supplétif et non applicable aux baux en cours, l’idée était née d’appliquer cette disposition uniquement aux baux signés après l’entrée en vigueur de la loi “Pinel” soit, après le 18 décembre 2014 et d’insérer des clauses de renonciation à ce droit et donc de l’exclure, dès la conclusion du bail; alors même, que la cession de l’immeuble n’était pas d’actualité au jour de la signature de celui-ci.

Les juges du fond et de droit sont venus mettre de l’ordre entre ces différents points de vue

Dans une décision du 28 juin 2018 – n° 17-14.605.-, la Haute Juridiction affirme, avec conviction, la nature d’ordre public du droit de préférence du preneur d’un local à usage commercial, institué par l’article L.145-46-1 du Code de commerce. Depuis, cet arrêt, le débat sur ce point précis, semble clos : les juges de droit comblent les lacunes de la loi et qualifient un texte d’ordre public alors qu’il n’est pas érigé comme tel, par le législateur.

Néanmoins, avant même cette décision, les rédacteurs d’actes ne se risquaient pas à passer une vente d’un local à usage commercial loué sans, en amont, avoir notifié au preneur à bail une offre de vente tel que l’indique l’article L.145-46- 1 du Code de commerce ; et donc purger son droit de préférence légal.

La prudence était donc de mise.

En effet, la pratique considérait logique de comprendre, dans le silence de la loi, que si le législateur s’était pris la peine d’insérer un droit de préférence légal, c’était, comme pour les autres droits de préemption, pour qu’il soit d’ordre public.

Mais de quel ordre public parle t-on, de l’ordre public de direction ou celui de protection? La question est de prime abord d’importance : dans le premier cas , il est impossible d’y renoncer, dans le second, une fois le droit acquis par le titulaire, il est envisageable qu’il y renonce.

En toute logique, il s’agirait ici d’un ordre public de protection. Ce droit protège un intérêt particulier : il est institué pour pérenniser l’activité du preneur en lui donnant un droit de priorité sur l’acquisition d’un local, dans lequel il exerce souvent son activité, depuis un certain temps.

Ainsi, si ce droit revêt une telle nature, il sera nécessaire d’attendre la décision de vendre du bailleur pour éventuellement proposer au preneur, une fois son droit de préférence né, d’y renoncer.

A l’analyse, il est permis de douter de l’intérêt pratique de cette démarche qui permettrait, à tout le moins, de raccourcir le délai de réponse du preneur à l’offre de vente.

Qu’on se le tienne donc pour dit : aucune renonciation conventionnelle au droit de préférence légal ne peut faire l’objet d’une clause insérée dans un bail au jour de sa conclusion, même si il est précisé que le preneur a parfaitement conscience des effets de cette renonciation. La seule renonciation possible serait celle effectuée au moment où propriétaire envisage de vendre son local.

La renonciation à un droit d’ordre public de protection est impossible tant que ce droit n’est pas acquis et donc ici tant que le processus contractuel de vendre n’est pas entamé.

La Cour d’appel d’Aix en Provence, dans une décision du 3 mars 2020, vient de réaffirmer ce caractère d’ordre public de l’article L.145-46-1 du Code de commerce, mettant ainsi ses pas dans ceux de la Cour de cassation.

Allant au delà de la seule question de la nature d’ordre public de ce droit, elle en déduit les conséquences, lorsque le preneur, ayant émis -suite à la purge de son droit – la volonté d’acquérir, est défaillant et ne réalise pas l’acquisition envisagée dans les délai légaux.

Appliquant l’alinéa 2 de l’article L.145-46-1 du Code qui donne au preneur un délai de deux mois pour la réalisation de la vente – délai porté à quatre mois s’il a recours à un prêt- et, constatant la défaillance des preneurs dans le délai imparti, les juges du fond déclarent la vente parfaite au profit du tiers bénéficiaire.

Ainsi, si la vente, du fait du preneur, ne se réalise pas dans les délais légaux, les juges dénient alors tout effet à ce droit de “priorité”.

En pratique, à défaut de réalisation de la vente par acte authentique dans un des deux délais précités, le bénéficiaire de l’article L.146-45- 1 du Code de commerce perd son droit de préférence légal, de son fait, et, l’acquéreur initial peut, le cas échéant, réaliser la vente à son profit.

Toutefois, même si ce droit de préférence légal est d’ordre public, rien n’empêche les praticiens, de prévoir, lors de la rédaction du bail, un pacte de préférence conventionnel tel qu’institué par l’article 1123 du Code civil et ce, au profit d’un bénéficiaire autre que le locataire.

Primera, bien entendu, le droit de préférence légal du locataire sur le pacte de préférence conventionnel. Mais en cas de refus d’acquérir de celui-ci, le bénéficiaire du pacte sera alors libre de l’acquérir. Et à défaut, l’acquéreur initial, bénéficiaire d’aucun droit ou pacte de préférence pourrait à son tour l’emporter….

Notre plume de rédacteur reste donc libre d’utiliser les règles du Code civil lorsque celles-ci peuvent vivre en harmonie avec des dispositions spéciales d’ordre public.

L’appel est là encore lancé à notre imagination et à notre faculté d’adaptation…


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