05 April 2021 Legal

La liberté de rompre les pourparlers : une réalité envisagée par la Haute Juridiction

La pratique notariale se heurte parfois à des réticences du fait des parties alors même que le processus contractuel est engagé, la date room parfois en ligne et l’accord sur la chose et sur le prix, en apparence, acquis.

L’article 1112 du Code civil donne un cadre juridique à ces instants de négociation : l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations sont libres sous réserve de respecter la bonne foi dans leur exécution et, en conséquence, de ne pas commettre une faute au cours du déroulement de ces négociations.

La décision, rendue le 04 mars dernier par la troisième Chambre civile, en est une parfaite illustration – Cass. civ. 3ème, 04 mars 2021, n° 19-16.204- ; alors même que les arrêts sur ce point ne sont pas légions.

Tombés d’accord avec son acquéreur sur le montant du prix de vente, de l’indemnité d’immobilisation et sur la date de signature de la promesse unilatérale de vente, un vendeur renonce finalement à cette opération. Peu de temps, avant la date prévue de signature de l’avant-contrat, il informe le futur acquéreur de sa décision.

Celui- ci entend acquérir : il assigne en exécution forcée de la vente. Puis, devant le refus du vendeur de signer la promesse, sollicite judiciairement des dommages et intérêts pour rupture abusive de pourparlers.

La Haute juridiction, exclut la responsabilité fautive du vendeur.

Celui-ci avait fait de multiples tentatives pour informer l’acquéreur de sa volonté de ne plus vendre. Ce dernier, demeurait passif et silencieux : il se refusait à vouloir comprendre la dédit du vendeur. Ce dernier était d’ailleurs absent au jour prévu pour la signature de la promesse. Au surplus, les juges de droit relèvent un désaccord persistant sur la date de réalisation de la vente alors qu’il s’agissait “d’un point sensible de la négociation”.

En réalité, il s’agit d’apprécier, au cas par cas, le comportement des parties durant la négociation ; afin de déterminer l’existence d’une faute dans la rupture des pourparlers. l

Le seul fait que la négociation en vue d’une vente ait permis de trouver un accord sur sur le prix ne suffit pas à caractériser l’existence d’une rupture abusive.

Seuls des faits illustrant le déroulement des négociations caractériseront, le cas échéant, l’existence d’une rupture abusive.

Cette position n’est cependant pas isolée.

Allant même plus loin la Cour d’Appel de Paris – CA Paris, 18 janvier 2019, n° 17:14649- estime que malgré un accord sur le prix, l’existence d’une promesse unilatérale de vente et le versement du montant de l’indemnité d’immobilisation, la rupture fautive ne peut être relevée.

De même, dans un arrêt du 9 mars 2017, la 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation (n° 16-12846) a pris en compte les problèmes de financement survenus au cours des pourparlers, causant la suspension puis l’abandon du projet et ne caractérisant pas une attitude abusive.

Dans cette décision, une association retient l’offre d’un promoteur immobilier en vue de la réalisation d’un programme de logements. Un contrat d’études préliminaires est signé en octobre 2010 et le promoteur obtient le permis de construire. Toutefois en juin 2012, l’association l’informe qu’elle n’entend pas poursuivre en raison de ses difficultés financières : en effet un investisseur public s’est désengagé du projet.

Le promoteur l’assigne en indemnisation de ses préjudices, se prévalant de l’existence d’un contrat de promotion immobilière. Mais la Cour de cassation considère celui-ci comme non conclu et qu’aucune faute n’avait été commise par l’acquéreur. Prudent il a préféré abandonné le projet plutôt que de faire espérer inutilement le promoteur alors qu’il savait qu’il n’aurait pas réalisé la condition suspensive de financement.

Suivant le même raisonnement, les juges n’ont pas relevé de rupture abusive à la charge d’un acquéreur refusant de signer le compromis de vente à la date prévu alors même, qu’il avait versé un dépôt de garantie – voir Cass. civ. 3ème 22 novembre 2018, n° 17-22773 .

A l’inverse, s’il existe des indices permettant d’établir une faute dans la rupture, les juges du fond n’hésitent pas à la retenir.

Ainsi, en rompant les négociations quelques heures seulement avant le rendez-vous fixé chez le notaire pour la signature du compromis de vente de leur appartement, les vendeurs commettent une faute dans la rupture des négociations – Cour d’appel de Lyon, 1re chambre civile B, 10 novembre 2020, RG n° 19/03862.

En réalité, les parties doivent se garder de tout comportement déloyal dans l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations.

Mais la difficulté réside dans les cas où l’on ne rencontre, ni mauvaise foi, ni intention de nuire mais simplement la volonté de ne pas prendre l’engagement contractuel envisagé.

Il est alors nécessaire de tenir compte d’éléments factuels.

Les facteurs clés seront la durée et l’avancement des négociations et la présence de désaccords persistants sur les éléments déterminants de la vente à venir.

Ainsi, lorsque des négociations durent, qu’elles permettent d’aboutir à un projet bien défini pour lequel le vendeur ou l’acquéreur a engagé des frais, la rupture brutale n’est pas exclue et ce, même en l’absence d’accord formalisé. Sera alors relevé l’existence d’une négociation aboutie pouvant laisser croire à la conclusion du contrat.

A l’inverse, si nonobstant ces éléments et comme dans la décision du 3 mars dernier, il est relevé des désaccords persistants et des points de tension non résolus, la rupture n’est pas forcément fautive. En effet, même si les pourparlers se sont éternisés dans le temps et sont arrivés à un stade avancé, les parties ne sont pas parvenues à un accord.

Il est un principe à retenir et c’est celui de l’article 1112 du Code civil.

Les pourparlers peuvent être rompus librement. C’est le libre usage de la liberté d’entreprendre.

Il n’existe aucun moyen d’établir une présomption de faute à la charge de l’auteur de la rupture. L’abus ne sera retenu qu’au vu d’éléments factuels, propres à chacun de nos dossiers.

Il est néanmoins une certitude : en présence de points de blocage , la Haute juridiction ne saurait relever une faute dans la rupture. Elle est simplement le résultat inéluctable d’un désaccord et de la liberté de rompre les pourparlers.

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