Certaines sociétés civiles sont parfois dans le viseur de l’administration fiscale quant à l’exacte qualification de leurs activités immobilières et, plus particulièrement, lorsqu’il s’agit de celle de marchands de biens.
Par principe, une société civile est considérée comme exerçant la profession de marchand de biens si les opérations immobilières d’achat et de revente présentent un caractère habituel et qu’il existe une intention spéculative au moment de l’acte d’acquisition (art. 35 I (1°) du CGI) qui n’est autre que l’intention de revendre.
Peu importe, que l’activité de marchands de biens soit exercée à titre professionnel ou principal (QE n° 88380 de M. Le Guen Jacques, JOANQ 14 mars 2006, réponse publ. 2 mai 2006 p. 4698, 12ème législature).
En vue d’apprécier si ces conditions sont remplies, il convient bien entendu d’étudier les statuts.
Et, lorsque l’activité réelle de la société ne correspond pas au pacte social, la question est alors posée de la nature effective de son activité (voir en ce sens, https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/4717-PGP.html/identifiant=BOI-BIC-CHAMP-20-10-20-40-20120912).
La réponse dépend alors des circonstances de la cause.
La condition de l’habitude peut, à l’évidence, se caractériser par une répétition d’actes.
Elle peut aussi se manifester par un seul acte, dans la mesure où l’on décèle une volonté de la part de son auteur d’en accomplir d’autres. Ainsi, en présence d’un achat unique suivi de la revente par lots, le Conseil d’Etat regarde la condition d’habitude comme satisfaite (voir , CE, Plénière, 12 juin 1992, n° 67758 et n° 67759, SCI du 6, rue de l’Aude – CE, 9° et 10° s-s-r., 25 avril 2003, n° 205099, Blonde ).
Quant à l’intention spéculative, elle est plus délicate à établir et s’apprécie au moment de l’acquisition ( voir, CE 3° et 8°, 2 juin 2006, n° 266507) : c’est en réalité l’intention de revendre qui dépend elle-même des circonstances concrètes de chaque acquisition et des déclarations de l’acquéreur.
Cette intention s’établit alors par un ensemble d’indices ( CE ,19-11-2008, n° 291039) : la durée de détention, la localisation e l’immeuble et la valorisation espérée, le bref délai entre l’achat et la revente…
Les opérations imposables en qualité de marchand de biens présentent donc un caractère habituel et procèdent d’une intention spéculative et donc d’une intention de revendre
Factuels, ces deux critères cumulatifs donnent lieu à contentieux.
Remplissent ainsi ces critères deux sociétés civiles (CAA Paris, 10ème ch., 18 février 2014, n° 13PA01756, inédit au recueil Lebon ) qui d’une part, revendent leur patrimoine immobilier dans un délai de deux à six ans après l’acquisition avec un durée de détention brève du bien immobilier. Et, d’autre part, achètent leur patrimoine immobilier dans des quartiers résidentiels de la capitale ou de la banlieue ouest de Paris – lieu où l’augmentation du prix de l’immobilier est de plus 130 % en moyenne – permettant ainsi une valorisation importante de ce patrimoine.
Plus récemment, dans un arrêt du 1er juillet 2021, la cour administrative d’appel de Marseille est revenue sur l’existence de l’intention spéculative et donc de l’intention de revendre (CAA Marseille, 1er juillet 2021, n° 20MA01445 ).
En l’espèce, une société civile achète deux terrains, l’un en 1978 et l’autre en 1981. Lors de chaque acquisition, la société civile s’engage à viabiliser les terrains et construire des villas dans un délai de 4 ans, afin de bénéficier du régime particulier de la TVA « immobilière » lequel permet de déduire la TVA des actes d’acquisitions.
A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration révèle que la cessions de deux terrains a eu lieu en 2015; soit 34 ans après l’acquisition pour l’un et 38 ans pour l’autre. Il apparait alors délicat de démontrer l’intention de revendre plus de trente ans après l’acte d’acquisition.
Pour autant, les juges ont apprécié l’intention spéculative lors de l’achat des terrains en utilisant la méthode du faisceau d’indices.
En l’occurrence, l’intention spéculative est caractérisée au jour de l’acquisition par l’observation des décisions de gestion de la société (comme l’inscription comptable des terrains en stocks, la déductibilité de la TVA concernant les actes d’acquisition, l’obtention d’un permis d’aménagement…).
L’intention spéculative s’apprécie à la date de l’acquisition et ce, même si les immeubles sont acquis depuis plus de trente ans.
Ainsi, si au moment de la vente, le cédant entreprend des démarches actives de commercialisation foncière “ telles que la réalisation de travaux de viabilisation ou la mise en oeuvre de moyens de commercialisation de type professionnel, similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, et qu’elle permet ainsi de le regarder comme ayant exercé une activité économique, la livraison est imposable“, l’intention spéculative n’est pas contestable alors même, qu’il n’y a pas eu les constructions promises sur les terrains.
Quelques années avant, la Cour d’Appel de Paris estime que la construction des biens immobiliers cédés, réalisée plus de dix ans après l’acquisition, démontre l’absence d’intention spéculative au jour de l’acquisition du terrain (CA Paris, 5 juillet 2019, n° 17PA22522).
En revanche, l’intention de revendre est un critère insuffisant pour qualifier la société civile de marchand de biens.
Il est nécessaire de relever aussi le caractère habituel de cette activité. En l’espèce, au vu du délai écoulé entre l’acquisition et la revente, l’opération est occasionnelle et réalisée dans le cadre de l’exercice du droit de propriété des associés de la société civile.
L’écoulement du temps a alors joué en faveur du caractère ponctuelle de l’opération démontrant ainsi l’absence d’habitude.
Par conséquent, la société civile ne peut être qualifiée de marchand de biens.
Toutefois, cette décision précise, pour la première fois, que l’intention de revendre peut être appréciée rétroactivement plus de trente ans après l’acte d’acquisition.
Mais, il en est ainsi uniquement parce que la société civile avait pris des décisions en assemblée générale indiquant sa volonté de valoriser les terrains avant de les revendre. La preuve de l’intention de revendre était alors établie par ses actes.
En réalité, plus que jamais les critères sont factuels et ce n’est qu’un faisceau d’indices qui guidera l’appréciation in concreto des juges du fond quant à l’existence de l’intention spéculative et de la condition d’habitude.