Cession de terrain à bâtir, TVA sur marge : nouvelle décision du Conseil d’Etat

A l’aune de la décision du Conseil d’Etat du 27 mars 2020 – n° 428234- , l’application du régime de TVA sur marge requiert deux conditions :

– une acquisition qui n’a pas ouvert droit à déduction ;

– pas de modification entre l’acquisition et la vente, des caractéristiques physiques et juridique de l’immeuble.

Pourtant, et en application de l’article 268 du Code Général des Impôts, seraient concernées par la TVA sur marge les livraisons de terrains à bâtir et, d’immeubles de plus de cinq ans, dont l’acquisition n’a pas ouvert droit à déduction.

Pour exemple, pour une livraison de terrain à bâtir – n’ayant pas ouvert le droit à déduction – la base d’imposition est constituée par la différence entre : le prix exprimé -et les charges qui s’y ajoutent- et soit, les sommes que le cédant a versées pour l’acquisition du terrain, soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature effectués.

Une seule condition est alors exigée par le législateur pour bénéficier de ce régime de TVA sur marge : l’absence de droit à déduction lors de l’acquisition initiale du bien.

Mais, l’analyse du Conseil d’Etat s’avère différente : la TVA sur marge ne concerne pas une cession de terrains à bâtir dont le bâtiment initial a fait l’objet d’une démolition de la part de l’acheteur-revendeur.

L’administration fiscale ajoute, en effet, une condition supplémentaire pour rendre cette TVA applicable : celle de l’identité de qualification entre le bien acquis et le bien vendu – BOI 3 A-9-10, n° 68, reprise au BOFIP : BOI-TVA-IMM-10-20-10, n° 20.

Cette TVA sera donc exclue lorsque les biens sont transformés, par l’assujetti, entre la date de leur acquisition et celle de la livraison. Tel est le cas de la vente d’un terrain à bâtir issu de la démolition d’un immeuble.

Une telle cession doit, selon l’administration fiscale, être soumise à la TVA sur le prix total de la vente.

Des réponses ministérielles suivent cette voie. Elles indiquent : «la mise en œuvre de ce régime dérogatoire prévu à l’article 268 du Code général des impôts suppose nécessairement que le bien revendu soit identique au bien acquis quant à ses caractéristiques physiques et sa qualification juridique» Rép. min. n° 94538 :  JOAN 20 septembre 2016, p. 8514 , Rép. min. n° 96679 :  JOAN 20 septembre 2016, p. 8522.

En conséquence, à la condition de l’identité de qualification juridique et fiscale est adjoint un autre critère, celui de l’identité physique des immeubles concernés. Cette position peut surprendre dans la mesure où de telles exigences n’apparaissent pas à la seule lecture de l’article 268 du Code Général des Impôts. Pour l’administration fiscale, cette exigence serait implicite, résultant de l’essence même du texte.

Pourtant, les juridictions du fond adoptent des positions contraires – CAA de Lyon, 20 décembre 2018 n° 17LY03359, CAA de Marseille 12 avril 2018 n° 18MA00802 , CAA de Lyon, 7 mai 2019 n° 18LY01019.

La Cour d’Appel de Lyon dont la décision fait l’objet du présent recours devant le Conseil d’Etat- décision du 25 juin 2019, n° L.Y00671- adresse un message clair et précis à l’administration : elle “ne saurait légalement fonder une imposition” et devenir source de droit, par la création de normes.

D’ailleurs, l’article 392 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 dispose : «Les Etats membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition, la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat».

Cette disposition prévoit la possibilité pour les États membres de mettre en place un régime de taxation sur la marge pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir en vue de leur revente, par un assujetti, qui n’a pas eu de droit à déduction lors de l’acquisition du bien. Aucune autre condition est requise.

L’article 268 du Code Général des Impôts est donc une parfaite transposition de cette disposition.

La TVA sur marge ne serait alors plus l’apanage des seuls marchands de biens. Elle serait applicable à toutes les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de leur revente, par un assujetti qui n’a pas eu de droit à déduction lors de l’acquisition initiale du bien.

Mais, ajouter une condition à celle de l’article 268 du Code Général des Impôts, restreint son champ d’application

Le Conseil d’Etat n’a pas entendu les juges du fond.

Et, par cette décision, il confirme que le seul fait de na pas avoir eu droit à déduction lors de l’acquisition initiale est insuffisant pour bénéficier de l’article 268 du Code Général des Impôts : l’identité des caractéristiques physiques et juridiques de l’immeuble entre l’acquisition et la revente est une condition incontournable.

Mais, le changement de qualification juridique d’un bien ne devrait t-il pas rester étranger à l’application de la TVA sur marge conformément au principe de neutralité fiscale en la matière ? Il semblerait que non…

A partir du 1er juin 2020, quelle sera le champ d’application de la copropriété ?

L’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis modifie de manière substantielle le champ d’application du statut de la copropriété posé par la loi du 10 juillet 1965.

Jusqu’au 1er juin 2020, le régime de la copropriété s’applique aux immeubles bâtis dont la propriété se répartit par lots quel que soit l’usage de l’immeuble (art. 1er de la loi de 1965).

Au 1er juin 2020, le régime de la copropriété sera obligatoire pour les seuls immeubles à usage partiel ou total d’habitation.

Et, il devient facultatif pour les immeubles à usage total autre que d’habitation.

Cet apport de l’ordonnance a une portée pratique considérable.

Le champ d’application impératif de la copropriété concerne un immeuble à usage partiel ou exclusif d’habitation.

Conséquences :

Comment déterminer si l’immeuble est ou non à usage partiel ou exclusif d’habitation ?

Il est impossible de s’appuyer sur une simple déclaration des parties dans l’acte.

Il conviendra donc de réunir des éléments matériels et objectifs : il faudra définir l’usage et/ou la destination de l’immeuble. Pour cela, on pourra prendre en compte les éléments d’équipements présents dans l’immeuble, le but de la construction, reprendre, peut-être, les critères posés par la jurisprudence pour le secteur protégé.

Mais cet usage et/ou destination peut être modifié dans le temps et logiquement alors  le statut de la copropriété deviendra facultatif.

Par exemple, si un lot passe à usage de commerce et qu’il ne reste plus aucun lot à usage d’habitation dans l’immeuble, les copropriétaires auront alors la faculté de choisir une autre organisation que celle de loi du 10 juillet 1965.

Enfin, il n’est non plus défini le caractère partiel de l’usage.

Manifestement peu importe que certains lots soient majoritaires par rapport à d’autres.

Ainsi, lorsqu’un immeuble comporte par exemple uniquement 10% de lots à usage d’habitation, ces lots bien que minoritaires feront basculer de manière impérative l’immeuble vers le régime de copropriété.

L’application facultative de la copropriété aux immeubles autres que d’habitation

Auparavant, le statut de la copropriété était applicable aux immeubles bâtis à destination autre qu’habitation (article 1er de la loi de 1965, ancienne version).

Aujourd’hui, l’ordonnance distingue deux catégories de copropriétés : les copropriétés à destination d’habitation soumises impérativement à la loi de 1965 et les autres copropriétés autre que d’habitation, possiblement hors statut.

Dès lors de deux choses l’une :

-Soit aucune organisation n’a été mise en place et ces immeubles  seront soumis de facto au statut de la copropriété

-Soit, une organisation a été mise en place par la signature d’une convention dérogeant expressément à la loi du 10 juillet 1965– article 1er II de la loi du 10 juillet 1965 – et ces immeubles seront exclus du régime de la copropriété.

Cette convention devra :

– préciser que les parties dérogent à la loi du 10 juillet 1965. En l’absence de cette mention impérative, les tribunaux pourraient alors imposer le régime de la copropriété à l’immeuble.

– l’organisation devra se faire par le biais d’une personne morale apte à gérer l’immeuble : il nous faudra veiller à la rédaction de ses statuts. Tel est le cas, par exemple d’une association syndicale libre de propriétaires ou d’une union de syndicats.

L’écoulement du temps sur les travaux et constructions irréguliers : retour sur l’article L.421-9 du Code de l’urbanisme tel qu’issu de la loi ELAN

La pratique notariale est souvent confrontée aux constructions et travaux irréguliers.

Toutefois le Code de l’urbanisme a institué une prescription décennale au-delà de laquelle ces irrégularités ne peuvent pas faire obstacle à de nouveaux travaux.

Ainsi, l’article L. 421-9 introduit dans le Code de l’urbanisme par la loi ENL du 13 juillet 2006 indique : « lorsqu’une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux ne peut être fondé sur l’irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l’urbanisme. (…) ».  Cette prescription administrative décennale est toutefois écartée : « e) lorsque la construction a été réalisée sans qu’aucun permis de construire n’ait été obtenu, alors que celui-ci était requis » ; cet alinéa étant issu, dans sa nouvelle rédaction, de l’article 80 de la loi ELAN.

Dès lors, lorsqu’une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux ne peut être fondé sur l’irrégularité de la construction initiale au regard du droit de lurbanisme – TA Toulon, 26 févr. 2010, Mme Garcin, no 0801606. Et ce, à condition que les travaux  n’aient pas, à  l’époque de leur réalisation, eu besoin de permis de construire.

Sont  donc exclus du bénéfice de la prescription tous les travaux réalisés sans permis de construire, en méconnaissance des prescriptions alors applicables, peu importent qu’ils soient réalisés lors de la construction primitive ou à l’occasion des travaux  apportés à celle-ci et, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de leur importance.

Peuvent, en revanche, bénéficier de la prescription les travaux réalisés irrégulièrement depuis plus de dix ans, dès lors qu’ils relevaient du régime de la déclaration préalable. Par exemple,  une construction initialement autorisée qui aurait fait ultérieurement l’objet de travaux emportant changement de destination mais relevant du régime de la déclaration préalable (C. urb., art. R. 421-14), bénéficiera désormais de la prescription.

Il conviendra donc, en pratique, d’analyser si les travaux irréguliers étaient soumis à déclaration préalable lorsqu’ils furent réalisés.

En pratique, si une déclaration préalable devait présider à la réalisation des travaux, deux hypothèses peuvent se présenter :

Le délai de dix ans n’est pas écoulé, et une nouvelle autorisation est nécessaire au vu des travaux à venir : il sera alors prudent de régulariser, si c’est possible,  les travaux initiaux en déposant une déclaration préalable pour éviter un rejet de la nouvelle demande au motif de l’irrégularité de la construction initiale. Cette régularisation peut se faire par une autorisation globale incluant les anciens et les nouveaux travaux – CE, 13 décembre 2013, n° 349081. Mais, si l’action pénale n’est pas prescrite – soit 6 ans après l’achèvement des travaux -, ces travaux irréguliers sont susceptibles de faire l’objet de sanctions et donc d’amendes au titre de l’article L.480-4 du Code de l’urbanisme.

Si le délai de dix ans, est écoulé, la nouvelle autorisation peut être déposée et ne peut être refusée sur le fondement de l’irrégularité de la construction initiale. Les travaux resteront irréguliers mais ne pourront servir de fondement au rejet d’une nouvelle autorisation pour d’autres travaux. Cette irrégularité pourrait seulement entrainer l’absence de reconstruction à l’identique en cas de sinistre : seuls les travaux ou constructions légaux et donc réguliers bénéficieront de la reconstruction à l’identique.

A l’inverse, les travaux ou constructions réalisés sans permis de construire ou alors qu’il était nécessaire ne bénéficieront pas de l’article L.421-9 du Code de l’urbanisme.

C’est donc le cas lorsqu’ils sont réalisés en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables qui imposaient un permis.

Si la construction était au jour de sa réalisation soumise à permis, toute nouvelle autorisation sur cette construction pourrait donc être refusée car la construction initiale est illégale. Seul,  un permis, s’il est obtenu, viendra a posteriori, donner à cette construction initiale une régularité certaine

Mais, si à l’époque de son édification, aucune autorisation n’était requise, la construction, certes sans permis, bénéficie de la prescription. C’est ainsi que le Conseil d’Etat – CE,3 février 2017, n° 373898– a jugé qu’un bâtiment édifié au XIXe siècle, avant que les lois et règlements ne soumettent les constructions à un régime d’autorisation d’urbanisme, ne pouvait être regardé comme ayant été réalisé sans permis de construire au sens de l’article L. 421-9.

Saisis de ces différentes problématiques, notre analyse est avant tout une analyse du risque.

Ce risque est d’autant plus important si les actions civiles et pénales courent encore. Il s’atténue lorsque les actions sont prescrites et que la construction ou les travaux bénéficient de l’article L.421-9 du Code de l’urbanisme.

Il nous faut alors remonter dans le temps… au temps de la réalisation des travaux ou des constructions pour déterminer avec précision et certitude la nature de l’autorisation requise et en déduire si, achevés depuis plus de dix ans, les constructions ou les travaux profiteront de la prescription décennale.

L’emprise du lieu de situation de l’immeuble en droit international privé (Civ. 1ère, 4 mars 2020)

La Haute juridiction, dans sa décision du 4 mars dernier vient, à nouveau, de souligner l’importance de l’immeuble en tant que critère de rattachement, en droit international privé.

Le créancier d’une indivision avait usé, devant un tribunal Français, de son droit de provoquer le partage – article 815-17 du Code civil- pour être payé de sa dette en assignant, en France, des époux résidents en Algérie. Le bien indivis était un immeuble situé en France. Ce partage judiciaire d’un bien indivis soulevait la question du tribunal compétent en l’absence de toute convention internationale entre la France et l’Algérie.

Deux choix s’offraient aux magistrats.

L’action du créancier est recevable en France et le tribunal saisi compétent en raison de la situation de l’immeuble en France. Ce fut la solution adoptée par la Cour de cassation.

L’action du créancier doit se dérouler devant les tribunaux algériens par extension à l’ordre international de la règle de compétence interne. Celle-ci est l’article 1070 du Code de procédure civile et suppose la compétence du juge des affaires familiales du lieu de résidence de la famille. Ce lieu était situé, en l’espèce, en Algérie et ce fut le choix malheureux opéré par les juges du fond.

En effet, dans l’ordre international, en l’absence de règlement européen ou de convention internationale applicable, trancher un tel litige devient bysantin. Le seul principe applicable, est celui, de l’extension à l’ordre international des règles de compétence de droit interne, “sous réserves des adaptations justifiées par les nécessités particulières des relations internationales” – principes posés par l’arrêt Scheffel le 30 octobre 1962 et nuancés par la Première Chambre civile le 3 décembre 1985 – décision n° 84-11.209.

Il appartient donc aux magistrats de peser les enjeux en cause et de ne pas se limiter uniquement à l’extension à l’ordre international des règles de compétence interne. Cette question est d’importance : en droit international privé, c’est le tribunal compétent qui va se prononcer en fonction de sa règle de conflit pour trancher un litige – sauf clause d’élection de droit lorsque les parties en ont la possibilité.

La détermination de cette compétence est donc, dans l’ordre international, un gage de sécurité juridique pour les plaideurs.

La clé de voute du litige était l’immeuble, patrimoine indivis des époux qui, au terme du partage, donnerait au créancier la possibilité d’être payé sur l’actif partagé. Le créancier était Allemand, l’immeuble situé en France et les époux résidaient en Algérie. Réfutant la compétence du tribunal français, les juges du fond voient leur décision cassée par la Haute Juridiction. Cette dernière estime, que le litige devait se dérouler en France, pays du lieu de situation de l’actif allant servir à désintéresser le créancier poursuivant.

La finalité poursuivie par la Cour de cassation était d’assurer au créancier l’efficacité de son action.

C’est en France que la décision aura force exécutoire et c’est aussi en France que les voies d’exécution éventuelles seront utilisées. Tout autre raisonnement, aurait conduit le créancier à de sérieuses difficultés d’exécution : un fois le jugement algérien rendu, il aurait fallu obtenir l’exequatur de celui-ci pour lui donner force exécutoire en France avant d’entamer la moindre procédure sur l’actif immobilier.

C’est donc bien l’efficacité de l’action du créancier sur l’immeuble qui est au coeur de cette décision. On ne peut d’ailleurs que la saluer. Le pouvoir d’attraction de l’immeuble, centre de gravité de l’opération, a eu raison de l’article 1070 du code de procédure civile dont l’application aurait conduit à éloigner le litige de son “juge naturel”.

Cette décision du 4 mars 2020 est la première décision qui statue sur la question du partage d’un bien indivis en droit international privé en dehors de tout règlement ou convention internationale applicable.

Certes, une décision précédente – Cass. 1ère civ., 20 avril 2017, n° 16-16.983- s’était penchée sur cette question mais, en application de l’article 22, 1° du Règlement (CE) du Conseil n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commercial. Cette disposition, instaure parmi ses compétences exclusives, celle du tribunal du lieu de l’immeuble en “matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles“. C’est ainsi que la Première Chambre Civile avait demandé au juge français de relever d’office son incompétence en faveur du juge espagnol, seul compétent dans un litige entre des résidents français, relatif à la propriété et au partage, d’un immeuble en indivision, situé en Espagne.

Cette décision du 4 mars 2020 le démontre à nouveau : retenir comme élément de rattachement, l’immeuble lorsque le litige porte sur des droits réels immobiliers est, en droit international privé, un gage d’efficacité et de prévisibilité. Si le juge compétent est celui du lieu de situation de l’immeuble, l’on peut penser que la lex rei sitae a encore de beaux jours devant elle.

Libres propos sur le droit de préférence légal,d’ordre public,du preneur d’un local à usage commercial

L’article L. 145-46-1 du code de commerce, création de la loi “Pinel” n° 2014-626, instaure le 18 juin 2014 un droit de préférence légal au profit du preneur d’un local à usage commercial.

Il a immédiatement été source de difficultés nombreuses pour les praticiens dont, celle de son application dans le temps et celle de sa nature : cette disposition est -elle d’ordre public ou supplétive de volonté ?

Considéré, par certains, comme supplétif et non applicable aux baux en cours, l’idée était née d’appliquer cette disposition uniquement aux baux signés après l’entrée en vigueur de la loi “Pinel” soit, après le 18 décembre 2014 et d’insérer des clauses de renonciation à ce droit et donc de l’exclure, dès la conclusion du bail; alors même, que la cession de l’immeuble n’était pas d’actualité au jour de la signature de celui-ci.

Les juges du fond et de droit sont venus mettre de l’ordre entre ces différents points de vue

Dans une décision du 28 juin 2018 – n° 17-14.605.-, la Haute Juridiction affirme, avec conviction, la nature d’ordre public du droit de préférence du preneur d’un local à usage commercial, institué par l’article L.145-46-1 du Code de commerce. Depuis, cet arrêt, le débat sur ce point précis, semble clos : les juges de droit comblent les lacunes de la loi et qualifient un texte d’ordre public alors qu’il n’est pas érigé comme tel, par le législateur.

Néanmoins, avant même cette décision, les rédacteurs d’actes ne se risquaient pas à passer une vente d’un local à usage commercial loué sans, en amont, avoir notifié au preneur à bail une offre de vente tel que l’indique l’article L.145-46- 1 du Code de commerce ; et donc purger son droit de préférence légal.

La prudence était donc de mise.

En effet, la pratique considérait logique de comprendre, dans le silence de la loi, que si le législateur s’était pris la peine d’insérer un droit de préférence légal, c’était, comme pour les autres droits de préemption, pour qu’il soit d’ordre public.

Mais de quel ordre public parle t-on, de l’ordre public de direction ou celui de protection? La question est de prime abord d’importance : dans le premier cas , il est impossible d’y renoncer, dans le second, une fois le droit acquis par le titulaire, il est envisageable qu’il y renonce.

En toute logique, il s’agirait ici d’un ordre public de protection. Ce droit protège un intérêt particulier : il est institué pour pérenniser l’activité du preneur en lui donnant un droit de priorité sur l’acquisition d’un local, dans lequel il exerce souvent son activité, depuis un certain temps.

Ainsi, si ce droit revêt une telle nature, il sera nécessaire d’attendre la décision de vendre du bailleur pour éventuellement proposer au preneur, une fois son droit de préférence né, d’y renoncer.

A l’analyse, il est permis de douter de l’intérêt pratique de cette démarche qui permettrait, à tout le moins, de raccourcir le délai de réponse du preneur à l’offre de vente.

Qu’on se le tienne donc pour dit : aucune renonciation conventionnelle au droit de préférence légal ne peut faire l’objet d’une clause insérée dans un bail au jour de sa conclusion, même si il est précisé que le preneur a parfaitement conscience des effets de cette renonciation. La seule renonciation possible serait celle effectuée au moment où propriétaire envisage de vendre son local.

La renonciation à un droit d’ordre public de protection est impossible tant que ce droit n’est pas acquis et donc ici tant que le processus contractuel de vendre n’est pas entamé.

La Cour d’appel d’Aix en Provence, dans une décision du 3 mars 2020, vient de réaffirmer ce caractère d’ordre public de l’article L.145-46-1 du Code de commerce, mettant ainsi ses pas dans ceux de la Cour de cassation.

Allant au delà de la seule question de la nature d’ordre public de ce droit, elle en déduit les conséquences, lorsque le preneur, ayant émis -suite à la purge de son droit – la volonté d’acquérir, est défaillant et ne réalise pas l’acquisition envisagée dans les délai légaux.

Appliquant l’alinéa 2 de l’article L.145-46-1 du Code qui donne au preneur un délai de deux mois pour la réalisation de la vente – délai porté à quatre mois s’il a recours à un prêt- et, constatant la défaillance des preneurs dans le délai imparti, les juges du fond déclarent la vente parfaite au profit du tiers bénéficiaire.

Ainsi, si la vente, du fait du preneur, ne se réalise pas dans les délais légaux, les juges dénient alors tout effet à ce droit de “priorité”.

En pratique, à défaut de réalisation de la vente par acte authentique dans un des deux délais précités, le bénéficiaire de l’article L.146-45- 1 du Code de commerce perd son droit de préférence légal, de son fait, et, l’acquéreur initial peut, le cas échéant, réaliser la vente à son profit.

Toutefois, même si ce droit de préférence légal est d’ordre public, rien n’empêche les praticiens, de prévoir, lors de la rédaction du bail, un pacte de préférence conventionnel tel qu’institué par l’article 1123 du Code civil et ce, au profit d’un bénéficiaire autre que le locataire.

Primera, bien entendu, le droit de préférence légal du locataire sur le pacte de préférence conventionnel. Mais en cas de refus d’acquérir de celui-ci, le bénéficiaire du pacte sera alors libre de l’acquérir. Et à défaut, l’acquéreur initial, bénéficiaire d’aucun droit ou pacte de préférence pourrait à son tour l’emporter….

Notre plume de rédacteur reste donc libre d’utiliser les règles du Code civil lorsque celles-ci peuvent vivre en harmonie avec des dispositions spéciales d’ordre public.

L’appel est là encore lancé à notre imagination et à notre faculté d’adaptation…