08 mai 2021 Juridique

Montage d’opération immobilière en milieu rural ou la délicate conciliation des intérêts en présence.

Le 15 avril dernier, les juges de droit, rendent huit décisions distinctes et annulent un acte destiné manifestement à contourner le droit de préemption du preneur à bail rural – Civiles, 3ème , 15 avril 2021, n° 20-15.332 , n° 20-15.334 n° 20-15.335 , n° 20-15.336 n° 20-15.337 , n° 20-15.339 , n° 20-15.340, n° 20-15.342 .

Le bailleur a ainsi consenti une donation avec charges à des personnes inconnues sur des parcelles loués, donation lui autorisant à ne pas purger le droit de préemption du preneur à bail rural. Celui-ci soulève donc la nullité de l’opération.

Il est entendu par les juges de droit.

Ils estiment qu’il s’agit là d’une manoeuvre frauduleuse pour contourner le droit de préemption du preneur en place : la donation était constituée pour empêcher l’exercice d’un tel droit – même si en apparence elle n’est pas constitutive d’une aliénation à titre onéreux et est exclue du droit de préemption du preneur à bail, au titre de l’article L.412-1 du Code rural.

En l’espèce, la question ne s’est pas posée au regard du droit de préemption de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER). Si elle l’avait été, cette donation aurait été soumise à ce droit de préemption car, réalisée au profit de personnes étrangères aux membres de la famille, tels que ces derniers sont définis à l’article L.143-16 du Code rural.

Ces décisions récentes nous donnent l’occasion de réfléchir à la structuration de nos montages immobiliers sur des terres à vocation agricole.

La pratique notariale rencontre souvent le dilemme suivant : le client nous demande de lui assurer qu’il sera acquéreur du foncier alors que nous connaissons le risque d’une préemption.

S’il est des domaines où les intérêts en présence peuvent ainsi devenir conflictuels, c’est celui de l’acquisition et/ou de l’implantation en milieu rural de sociétés autres qu’agricoles telles que les entreprises d’énergie renouvelable.

Par essence, ce type d’exploitation a besoin de terrains ruraux – sauf à se situer dans un schéma sans acquisition du foncier, basé sur des divisions en volume de l’immeuble permettant, par exemple, à la toiture d’accueillir les panneaux photovoltaiques.

Lorsque la société exploitante entend acquérir le foncier pour permettre la création puis le développement d’une centrale solaire ou géothermique ou d’un parc éolien; elle a une crainte : celle du droit de préemption du preneur à bail rural ou de la SAFER.

Cette crainte est justifiée : si les parcelles sont exploitées par un preneur à bail depuis au moins trois ans, ce dernier dispose d’un droit de préemption – article L.412-5 du Code rural. Si les parcelles sont libres mais qu’elles sont situées dans une zone à usage agricole, elles vont être considérées comme des terrains à vocation agricole : la SAFER dispose alors d’un droit de préemption – article L.143-1 du Code rural.

Comment pouvons nous alors répondre aux attentes des clients, acquéreurs d’une assiette foncière et, dont le projet ne peut souffrir une préemption au regard de ses enjeux économiques et stratégiques ?

Cette épée de Damoclès pèse sur la faisabilité des opérations et, sur le développement à terme, des énergies renouvelables basées sur la maitrise du foncier.

En effet, la structuration envisagée ne doit pas faire suspecter une quelconque fraude aux droits de préemption en présence.

Si le preneur ou la SAFER démontre le caractère artificiel du montage, permettant un transfert de propriété sans purge des droits de préemption, la transaction sera systématiquement annulée par les tribunaux sans préjudice des dommages et intérêts dus, le cas échéant.

Les exemples sont rares et méritent d’être signalés.

Ainsi, la Haute Juridiction considère, dans les arrêts du 15 avril 2021, qu’une donation avec charges à des inconnus est une fraude au droit de préemption du preneur à bail rural.

L’on peut aussi imaginer, pour éviter le droit de préemption de la SAFER, démembrer le bien immobilier en cédant seulement la nue-propriété des terres. En effet, une telle cession est soumise uniquement dans trois hypothèses au droit de préemption – article L.143-1 alinéa 5 du Code rural – et il suffit d’en être exclu.

Dès lors, en présence d’une fraude et donc en démontrant que les vendeurs entendent céder à bref délai l’usufruit – Civile, 3ème, 7 février 1996, n° 93-19.591 – et donc reconstituer la pleine propriété – Civile, 3ème, 18 février 2014, n° 12-29.648 -, la nullité de l’opération est envisageable.

Une telle action en nullité est d’ailleurs recevable, tant par le preneur que par la SAFER, à bref délai et ce, sous peine de forclusion.

Le preneur a, pour agir, six mois à compter du jour où il a connaissance de la date de la vente (article L.412-12 alinéa 3 du Code rural) . Quant à la SAFER, son délai d’action est similaire, car elle doit aussi agir dans les six mois de la publication de l’acte de vente (article L. 141-1-1 II du Code rural).

Chacun d’eux pourra, par cette action, annuler la vente ou se substituer au tiers acquéreur.

Il est donc essentiel de rechercher les montages non artificiels permettant à chacun des opérateurs en milieu rural d’être serein quant à l’insertion du projet sur des terres agricoles et à sa pérennité, seule garantie de sa rentabilité.

Une voie médiane mérite d’être tracée : celle d’intégrer dans ces projets d’énergie renouvelable, les acteurs du monde agricole.

Tel est déjà le cas des fermes photovoltaiques, de la construction des hangars agricoles érigés en volume pour produire de l’énergie radiative et des vignes solaires, inaugurées il y a peu.

Ainsi, il est nécessaire, non pas d’imaginer des montages dont le but seraient de contourner les droits de préemption existant en milieu rural, mais de créer des structures juridiques had hoc permettant d’acquérir l’assiette foncière pour la réalisation d’un projet tout en pérennisant la vocation agricole du foncier et son exploitation rural.

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