La Cour de cassation n’a de cesse, de poser pas à pas, les règles relatives aux sûretés réelles pour autrui. C’est à nouveau le cas, pour la sûreté immobilière, avec cette décision du 2 juin 2021 (n° 20-12.908) de la chambre commerciale.
Cette fois, la question de la prescription y est abordée : la sûreté réelle pour autrui, par essence, limitée au bien affecté en garantie, est soumise à la prescription trentenaire, et non quinquennale, de l’article 2227 du Code civil.
Cette solution est dans la droite ligne du droit positif.
Il y a quelques mois, cette même Chambre commerciale (voir notre actualité du 31 janvier 2021) affirmait que le créancier, bénéficiaire d’une sureté réelle pour autrui est créancier du débiteur de la dette et, qu’en conséquence, il peut poursuivre son constituant.
Et ce, même si le débiteur est en procédure collective et protégé par la suspension des poursuites de l’article L.622-21 du Code de commerce. Et, le créancier ne sera pas, non plus, contraint de déclarer sa créance au passif de la procédure collective du débiteur de la dette ainsi garantie.
La sûreté réelle pour autrui, gagne peu à peu ses lettres de noblesse.
Son cadre juridique se précise au fil du temps : elle est limitée au bien donné en garantie (Cass. civile, 3ème, 12 avril 2018, n° 17-17.542). Son constituant ne profite pas des bénéfices de discussion et/ou de division (Cass civile 1ère, 25 novembre 2015, n° 14-21.332), de l’obligation d’information (Cass civile 1ère, 7 février 2006, n° 02-16.010) et la banque n’est pas tenue d’un devoir de mise en garde à son égard (Cass. com, 24 mars 2009, n° 08-13.034).
Son efficience est à nouveau assurée par la Chambre commerciale : les créanciers bénéficient d’un droit d’action trentenaire pour poursuivre la réalisation de cette sûreté.
Pour ce qui est du jeu de la prescription, une distinction entre la sûreté hypothécaire classique et la sûreté réelle pour autrui est alors nécessaire.
En effet, lorsque l’immeuble hypothéqué est détenu par le débiteur, l’hypothèque subsiste tant que l’obligation principale existe car elle en est son accessoire. La prescription de la créance garantie recouvre celle de l’hypothèque (voir en ce sens, Civile, 3ème, 12 mai 2021, n° 19-16.514).
En d’autres termes, la prescription concerne et l’obligation principale et l’action en paiement. Elle emporte, par voie de conséquence, l’extinction de l’hypothèque ou du privilège. Cette solution est logique : le débiteur, propriétaire de l’immeuble hypothéqué est tenu personnellement à la dette.
Tel n’est pas le cas du constituant de la sûreté réelle immobilière pour autrui.
Ainsi, le tiers détenteur de l’immeuble hypothéqué est tenu seulement “réellement” de la dette garantie.
L’immeuble est alors entre les mains d’un tiers, non tenu personnellement à la dette : l’hypothèque peut alors faire l’objet d’une prescription autonome par rapport à l’obligation qu’elle garantit.
D’ailleurs, il résulte de l’article 2488 du Code civil – au visa de la décision du 2 juin 2021 – que la prescription est acquise au tiers détenteur par “le temps réglé pour la prescription de la propriété à son profit”.
Celui qui est tenu réellement assume certes une obligation. Mais, ce n’est pas une obligation personnelle à la dette.
En son temps, la pratique notariale s’en était d’ailleurs inquiétée.
Elle s’interrogeait, en présence de l’affectation hypothécaire par un tiers – pour laquelle, il n’y a nulle trace d’engagement personnel – si l’acte pouvait néanmoins être revêtu de la formule exécutoire. On aurait pu penser que seule une obligation personnelle bénéficiait de ce privilège.
II n’en est rien (voir en ce sens, la décision de la Cour de cassation du 6 juin 1996, n° 94-20.293).
Les créanciers, bénéficiaires d’une sûreté réelle pour autrui, constatée par un acte authentique et constitutif de l’affectation hypothécaire ont bien un titre exécutoire.
Celui-ci permet une prescription trentenaire et donc un délai d’action favorable aux créanciers poursuivant la réalisation de cette sûreté.
Même si il est délicat pour le constituant d’une sûreté réelle, tenue personnellement de garantir l’hypothèque dont son immeuble est grevé, de prescrire contre son titre, cette règle rejaillit au bénéfice des créanciers.
Dans l’arrêt du 2 juin dernier, les juges de droit cassent l’arrêt d’appel. Celle-ci avait déclaré les hypothèques prescrites et ordonner la radiation sur le fondement de la prescription quinquennale. La Cour de cassation estime qu’en statuant ainsi, alors “qu’ayant relevé que les garants s’étaient rendus cautions « simplement hypothécaires » de l’emprunteur, de sorte que l’affectation de leurs biens en garantie de la dette d’autrui avait la nature d’une sûreté réelle immobilière soumise à la prescription trentenaire, la cour d’appel a violé les textes visés“.
Les créanciers bénéficiaires d’une sûreté réelle pour autrui peuvent se réjouir de cette décision qui, par le jeu de la prescription, continue à forger les règles propres à la sûreté réelle pour autrui et à en assurer l’efficacité.
Le droit positif éclaircit la notion de sûreté réelle pour autrui et lui permet d’être efficace. Si celle-ci est clairement rédigée, elle est assise uniquement sur le bien objet de la garantie et assure une sécurité juridique avérée pour le créancier.
Espérons que l’avenir législatif entende conserver cette ligner directrice. L’une des finalités de la réforme du droit des sûretés à venir est d’améliorer la lisibilité du régime juridique du cautionnement.
L’avant-projet de l’Association Henri Capitant, a cependant pris, le contre-pied de la jurisprudence qualifiant cette sûreté de cautionnement (avant-projet de réforme art. 2291) et, permettant à la caution d’opposer au créancier toutes les exceptions personnelles ou inhérentes à la dette du débiteur (avant-projet de réforme art. 2299).
Espérons que le législateur entende la position de la Cour de cassation et conserve cette sûreté réelle pour autrui comme la pratique l’a imaginée et le droit positif fait évoluer.