Lors d’une vente d’un local commercial, la mise en œuvre de la purge du droit de préférence de l’article L.145-46-1 du Code de commerce, est loin d’être évidente pour le praticien.
Mais pas à pas, le droit positif nous aide et donne, à notre pratique, un éclairage utile dans l’application de cette disposition d’ordre public.
Ainsi, dans une décision du 3 mars 2020 (n° 18/18662), la Cour d’Appel d’Aix en Provence rappelle au preneur ses obligations : il dispose d’un délai d’un mois pour se prononcer sur l’acquisition et, s’il accepte l’offre, dispose de deux mois pour la réalisation de la vente, délai porté à quatre mois s’il recourt à un prêt.
En revanche, si, à l’expiration de ce délai, la vente n’est pas réalisée, son acceptation de l’offre de vente est sans effet : il perd donc la possibilité d’acquérir le local commercial.
Dès lors, un preneur ne peut obtenir judiciairement une prorogation de délai lorsqu’il est défaillant dans la réitération de l’acte authentique au terme des délais légaux : du fait de son absence de diligence dans le processus contractuel, la vente est alors parfaite au profit du tiers acquéreur.
Ce tiers acquéreur, par le jeu des dérogations légales, peut néanmoins acquérir le local sans risquer la mise en oeuvre du droit de préférence par le locataire.
Ainsi, l’article L.146-41-1 du Code de commerce n’est pas applicable “en cas de cession unique de plusieurs locaux d’un ensemble commercial, de cession unique de locaux commerciaux distincts ou de cession d’un local commercial au copropriétaire d’un ensemble commercial. Il n’est pas non plus applicable à la cession globale d’un immeuble comportant des locaux commerciaux ou à la cession d’un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint”.
Ces exceptions autorisent le notaire à passer la vente au profit de l’acquéreur sans purger le droit de préférence du preneur en place.
Mais pour instruire notre pratique, les juges prennent alors le relais quant à l’interprétation des exceptions légales.
Lorsque la vente d’un immeuble comprend un seul local commercial (questions n° 92592 et n° 98594, JOANQ 26 janvier 2016 et JOANQ 30 août 2016), deux réponses ministérielles indiquaient que «permettre au locataire d’exercer son droit de préférence sur l’ensemble immobilier vendu constituerait une extension de ce droit limité par la loi au seul local commercial où il exerce son activité»
Ces réponses ne lient pas le juge mais, pas à pas, la Haute Juridiction nous guide répondant ainsi à certaines de nos interrogations quant au champ d’application de ces différentes exceptions
Dans une première décision du 17 mai 2018 – n° 17-16.113-, les juges de droit considèrent que lorsque l’assiette du bail ne correspond pas au bien vendu et qu’il existe une différence de surface entre eux, il n’est pas nécessaire de purger le droit de préférence : il s’agit là de la cession globale d’un immeuble comportant des locaux commerciaux.
Ainsi, la cession dite “globale” porte sur un ensemble plus vaste que les seuls lieux loués.
Cette interprétation rejoint un principe acquis, à propos du pacte de préférence conventionnel de l’article 1123 du Code civil : le bailleur n’est pas tenu de diviser son immeuble afin de purger le droit de préférence de son preneur. Celui-ci préempte le bien loué, uniquement, si le seul bien mis en vente est le local loué – Civ. 3e, 9 avr. 2014, n° 13-13.949.
Dans une décision récente, les juges du fond se sont à nouveau penchés sur une des exceptions de l’article L.145-46-1 du Code de commerce : celle de la “cession unique de locaux commerciaux distincts”.
Ces derniers doivent ils avoir fait l’objet d’une division matérielle et/ou juridique ?
La cour d’Appel de Paris, dans une décision du 20 mai 2020 – CA Paris, n° 18/24248- répond à cette interrogation . En l’espèce la société civile, propriétaire d’un local loué par deux baux commerciaux distincts vend son lot de copropriété. Le local mis en vente, situé en rez de chaussée, abritait deux preneurs différents, partagés par une simple cloison. L’un deux sollicite alors la nullité de la vente conclue en violation de son droit de préférence.
Pour autant, il est relevé l’existence de locaux distincts : ceux-ci ont deux entrées différentes et sont séparés par une cloison.
Cette simple division matérielle marque la présence de plusieurs locaux et la purge du droit de préférence n’a pas lieu d’être.
Il n’était donc pas nécessaire de créer deux nouveaux lots de copropriété pour que le local soit définis comme “des locaux commerciaux distincts”.
Cette précision est d’importance : il importe peu au final que la division matérielle du lot soit suivi d’une division juridique.
La cession à un même, acquéreur d’un lot de copropriété loué à deux preneurs à bail commercial est donc une cession unique de locaux commerciaux distincts.
A ce titre, elle échappe à l’application de l’article L.145-46-1 du Code de commerce.
Ainsi s’il est évident que cette exception vise à écarter le droit de préférence lorsque la vente porte sur un portefeuille de locaux commerciaux, quelle que soit leur situation géographique exacte.
Celui-ci est aussi écarter par la présence dans un même local de deux preneurs, séparés par une cloison.
Ces différentes décision en témoignent : le droit positif pallie nos incertitudes dans un domaine où la loi aurait mérité plus de clarté.