La motivation d’une décision de préemption dans un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat

Remarques autour de la décision du Conseil d’Etat du 15 décembre 2023 n° 470167

Créé par l’article 58 de la loi du 2 août 2005 en faveur des PME et codifié aux articles L. 214-1 et suivants du code de l’Urbanisme, le droit de préemption commercial a connu un succès modéré auprès des communes.

Sa finalité est de préserver la diversité commerciale et d’éviter que les commerces de proximité ne soient éliminés lors des cessions.

Il est en pratique assez peu utilisé : les collectivités ont du mal à maintenir la viabilité des fonds préemptés et à retrouver un cessionnaire dans les conditions posées par les textes.

Il aura d’ailleurs fallu attendre la décision du Conseil d’Etat du 15 décembre 2023 pour que soient précisées les conditions d’exercice légal de ce droit de préemption.

La commune, dans le cadre de l’exercice de ce droit, doit-elle justifier de la réalité d’un projet envisagé, répondant ainsi aux conditions fixées par les articles L.210-1 et L.300-1 du Code de l’Urbanisme applicables au droit de préemption urbain ?

Une telle question est inédite en la matière.

La réponse des magistrats est positive, et il s’agit ici d’une innovation jurisprudentielle.

Auparavant, l’exercice du droit de préemption commercial reposait sur une démonstration simple : l’activité du cessionnaire envisagé répond-elle ou non, aux objectifs de sauvegarde des activités artisanales et commerciales de proximité de la commune ? (CE, 27 février 2017, n°403511). Nul besoin de viser un projet précis, la préemption pouvant être motivée par la volonté de faire obstacle à l’installation d’une activité non désirée.

Au contraire, le Conseil d’Etat décide ici de rendre applicables au droit de préemption commercial les textes afférents au droit de préemption urbain.

L’article L. 210-1 du code de l’Urbanisme prévoit que « toute décision de préemption doit mentionner l’objet pour lequel ce droit est exercé » et, les droits de préemption institués par le titre I du livre II de la première partie du code de l’Urbanisme « sont exercés en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1 », au titre desquels figurent : l’organisation de la mutation, le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, la mise en place d’un projet urbain ou d’une politique locale de l’habitat ou la réalisation d’équipements collectifs.

Le droit de préemption commercial instauré aux articles L. 214-1 et suivants du code de l’Urbanisme figure au nombre des droits de préemption mentionnés par l’article L. 210-1 du même Code.

En l’espèce, la décision de préemption de la commune était laconique sur le projet envisagé.

Elle indiquait justifier sa préemption par le maintien d’une diversité commerciale et artisanale forte dans le quartier et, la volonté, de ne pas étendre un commerce déjà existant.

La commune entend certes maintenir des activités économiques mais elle ne précise pas ce qu’elle souhaite réaliser à l’issue de la préemption du local, et ne produit aucun document laissant apparaître une réflexion en ce sens.

Pour les magistrats, une telle préemption, à l’aveugle, ne peut se réaliser.

La collectivité doit avoir une idée du devenir du bien préempté.

Dorénavant, comme pour le droit de préemption urbain et conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat du 7 mars 2008 (Commune de Meung-sur-Loire, n° 288371), la commune devra, pour exercer son droit de préemption de l’article L.214-1 du Code de l’Urbanisme, indiquer aux termes de sa décision de préemption la ou les activités commerciales ou artisanales qu’elle souhaite développer dans le périmètre de sauvegarde.

Le Conseil d’Etat précise toutefois dans sa décision qu’il n’est pas exigé que les caractéristiques précises du projet soient définies à la date de préemption.

Les délibérations instituant les périmètres de sauvegarde pourraient d’ailleurs indiquer précisément le programme de maintien et de développement du commerce de proximité tel que l’installation de commerces de bouche, de cafés, de restaurants, d’équipements de proximité ou de certains types de magasins.

La collectivité, conformément à l’article L. 210-1 du Code de l’Urbanisme, est donc tenue d’indiquer les activités qu’elle entend développer par la préemption dans le périmètre de sauvegarde

Mais cette préemption doit aussi répondre à la réalisation d’une « action » ou d’une « opération » répondant aux objectifs de l’article L. 300-1 du Code de l’Urbanisme : la collectivité doit réellement réaliser, par sa préemption, sa politique publique et ce, à des fins d’intérêt général.

En d’autres termes, faute d’un projet tangible conforme à l’intérêt général, il sera délicat de valider la décision de préemption.

Le Conseil d’État décide donc clairement, par cette décision, de transposer au droit de préemption commercial, les exigences qui président à l’exercice du droit de préemption urbain, et qui sont justifiées par l’atteinte au droit de propriété que constitue le mécanisme de la préemption.

Il appartiendra donc à la collectivité de justifier de la réalité d’un projet répondant aux objectifs mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’Urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date et, d’un intérêt général suffisant, qui s’apprécie, selon cette décision du 15 décembre 2023, « eu égard notamment aux caractéristiques du bien, en l’occurrence le fonds artisanal ou commercial ou le bail commercial, faisant l’objet de l’opération ou au coût prévisible de cette dernière »

L’acte peut-il être repris après avoir été signé, alors que la société était en formation?

Il est un principe fondamental en droit des sociétés : ces dernières n’acquièrent la personnalité morale qu’à compter de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

Or de nombreux actes sont conclus pendant la période de formation de la société pour le compte de celle-ci, avant qu’elle n’ait la personnalité morale, et leur absence de reprise par la société pourrait induire des conséquences dramatiques pour les associés ou les tiers cocontractants qui ont légitimement cru en la reprise des actes.

Par trois décisions rendues le 23 novembre 2023 (arrêts n° 22-21.623, n°22-18.295 et n°22-12.865) les juges du droit modifient les jalons, posés par le droit positif, de la reprise des actes accomplis pour le compte d’une société en formation, dont la dernière décision d’importance datait du 19 janvier 2022 (arrêt n°20-13.719).

Concernant les sociétés commerciales, l’article L.210-6 alinéa 2 du Code de commerce  dispose : « Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société ».

Pour ce qui est des sociétés civiles, l’article 1843 du Code civil indique : « Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant l’immatriculation sont tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas. La société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l’origine contractés par celle-ci ».

Les règles ainsi posées sont d’une clarté qui n’est qu’apparente.

En effet, la Haute juridiction, et ce de manière constante, estimait que les seuls actes réalisés avant l’immatriculation de la société et susceptibles d’être repris après celle-ci, étaient les engagements expressément souscrits au nom de la société ou pour le compte de celle-ci.

Etaient alors nuls, les actes passés par la société non immatriculée sans autre précision, et ce même s’il pouvait être déduit des mentions de l’acte ou des circonstances, l’intention de conclure cet acte au nom ou pour le compte de la société en formation.

Cette règle de droit positif réputait donc l’acte repris et conclu par la société, uniquement en présence d’une mention expresse selon laquelle cet acte était accompli au nom ou pour le compte de la société en formation

Par conséquent, l’un au moins des associés “portait” l’acte lors de sa conclusion et conservait la charge de celui-ci si la reprise par la société devait ne pas intervenir.

Deux cas de figure étaient en effet possibles :

Soit le contrat était conclu par la société en formation Z, représentée par Monsieur A : il était alors conclu par la société alors qu’elle n’avait pas la personnalité morale et était nul à son égard.

Soit, le contrat était conclu par Monsieur A, au nom de la société en formation Z : il était alors conclu par une personne au nom de la société en formation et pouvait faire l’objet d’une reprise.

Mais la loi ne prévoyait pas de condition de forme s’agissant de l’accomplissement des actes : ils devaient simplement être faits au nom ou pour le compte de la société en formation.

Le droit positif allait donc au delà de la lettre de la loi et imposait une formalité non obligatoire.

Cette solution présentait des effets indésirables puisque les parties pouvaient ainsi se soustraire à leurs engagements lors de leur démarrage sous forme sociale, et que les tiers cocontractants, en cas d’annulation de l’acte, se trouvaient dépourvus de tout débiteur.

La Haute Juridiction a donc entendu modifier la règle de droit positif dans ses décisions du 23 novembre dernier, opérant ainsi un véritable revirement de jurisprudence.

Ainsi, même si l’acte ne mentionne pas expressément qu’il a été souscrit au nom et pour le compte de la société en formation, sa reprise est possible par la société immatriculée.

Aujourd’hui, il appartient donc au juge d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, si la commune intention des parties n’était pas que l’acte soit conclu au nom ou pour le compte de la société et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits.

La Cour de cassation va jusqu’à préciser un point d’importance : la validité de l’acte passé pour le compte d’une société en formation n’implique pas, sauf les cas de dol ou de fraude, que la société effectivement immatriculée revête la forme et comporte les associés mentionnés, le cas échéant, dans l’acte litigieux initial (arrêt n° 22-12.865).

Dès lors, il appartenait aux cours d’appel de rechercher s’il ne résultait pas, non seulement des mentions de l’acte, mais aussi de l’ensemble des circonstances, que nonobstant une rédaction défectueuse, la commune intention des parties était que l’acte fût passé au nom ou pour le compte de la société en formation.

Cependant, il est une logique de bon sens en tant que rédacteur d’acte : celle de s’assurer de l’efficacité mais surtout de la sécurité juridique de celui-ci.

Cette sécurité juridique propre à l’acte authentique commande que malgré ce revirement de jurisprudence, l’on mentionne dans une clause, par nature expresse, que l’acte est signé par l’un des futurs associés ou actionnaires au nom ou pour le compte de la société en formation.

Une telle clause est source de sécurité juridique et permet d’éviter tout désaccord sur l’interprétation de la volonté des parties.

Gageons que la pratique notariale l’entende bien ainsi !

La délicate application des règles de prospect en vigueur à Paris : l’exemple des loggias

Parmi les règles d’urbanismes, celles consistant à réglementer l’implantation des constructions peuvent s’avérer complexes voire mystérieuses à l’aune d’un projet immobilier.

Les plans locaux d’urbanisme peuvent, en effet, imposer aux constructions nouvelles une distance minimale d’implantation. Dans cette hypothèse, le document d’urbanisme se réfère, le plus souvent, à la façade de la construction : il est ainsi indiqué que celle-ci devra être implantée en retrait de la limite séparative ou de la construction voisine.

En témoigne l’article UG 7 du règlement du plan local d’urbanisme de la Ville de Paris interprété par une décision récente du Conseil D’Etat en date du 12 mai 2022 ( n°453787).

Le projet consistait en la construction d’un immeuble de quarante-sept logements, dont le permis délivré fit l’objet d’un recours en annulation.

La ville de Paris réglemente ainsi les implantations de constructions par rapport aux limites séparatives.

Lorsqu’une façade ou une partie de façade à édifier en vis-à-vis d’une limite séparative comporte une ou plusieurs baies constituant l’éclairement premier de pièces principales, elle doit respecter, au droit de cette limite, un prospect minimal de 6 mètres.

Mais, si une façade ou une partie de façade à édifier en vis-à-vis d’une limite séparative comporte une ou plusieurs baies dont aucune ne constitue l’éclairement premier de pièces principales, elle doit respecter, au droit de cette limite, un prospect minimal de 2 mètres.

Il s’agit d’une règle alternative : la construction doit être à tant de mètres des limites séparatives sauf si pour des raisons propres aux caractéristiques de la façade, il devient possible de construire plus près.

Pour les opérationnels, cette règle peut s’apparenter à une véritable plongée dans l’inconnu !

Pourtant elle est un élément essentiel du projet de construction : les règles de prospect encadrent la continuité du bâti, participent à un développement urbain plus ou moins aéré et permettent la restructuration de l’espace urbain.

C’est ainsi que les articles L.151-17 et L.151-18 du Code de l’Urbanisme l’entendent : ils offrent aux communes la possibilité d’énoncer des principes particuliers pour l’implantation des constructions par rapport aux voies et emprises publiques et/ou aux limites séparatives.

Ces règles adaptées, par essence, aux caractéristiques locales de chaque commune sont techniques.

En témoigne, la seule lecture de l’article UG 7 du plan local d’urbanisme de la ville de Paris : le mesurage de l’implantation des constructions part de la baie, dont la distance, du point le plus proche de la façade, en vis à vis, ne doit pas excéder certaines limites, sauf exceptions (article UG. 7.1).

Et ainsi, le plan local d’urbanisme de la ville de Paris pose, de manière implicite, pour l’application des règles de prospect, une distinction entre une loggia et un balcon (voir sur cette distinction CE 25 mai 2022, n° 455127) .

La question est alors de savoir si les loggias sont des éléments de la façade ou si à l’inverse elles sont en saillies, comme les balcons.

La réponse permet alors de connaitre à partir de quels éléments attachés à la façade se mesure la règle de prospect posée par la ville de Paris.

La dichotomie est la suivante.

Soit il faut calculer le respect des distances à partir du rebord extérieur des loggias ouvertes situées sur la façade : c’est là, la position du Conseil d’Etat

Soit le calcul se réalise à partir de la baie intérieure qui permet l’accès à la loggia : c’est là, la position des juges de première instance, position réfutée par la Haute Juridiction.

Les juges de première instance considèrent ainsi le mesurage à partir de la baie permettant d’accéder à la loggia et non à partir du rebord extérieur des loggias ouvertes situées sur la façade.

Le Conseil d’Etat estime, quant à lui, que la distance d’implantation des constructions se calcule en tenant compte du rebord extérieur des loggias ouvertes et situées sur la façade.

A l’analyse, l’article UG 11 de ce même règlement mentionne seulement les balcons parmi les éléments en saillie et non les loggias.

Ainsi, la différence entre un balcon et une loggia est la saillie.

Le balcon déborde de la façade tandis que la loggia est intégrée dans la façade principale, comme une pièce supplémentaire dotée d’une ouverture vers l’extérieur.

À l’inverse, cette même disposition évoque les loggias comme reliefs contribuant à la mise en valeur des façades.

Le Conseil d’Etat, au visa des articles UG 7 et UG 11 du plan local d’urbanisme de la ville de Paris considère, en l’absence de précisions sur les éléments de la façade dans le règlement, qu’une loggia doit être d’une part, regardée comme un élément de la façade et d’autre part appréhendée comme une baie présente sur la façade et ce, en raison de son ouverture vers l’extérieur.

Dès lors, la loggia et son ouverture vers l’extérieur doit être prise en compte pour déterminer la distance qui sépare la construction de la limite séparative. Le Conseil d’État censure alors logiquement les juges de première instance.

Les règles d’implantation des constructions s’apprécient par rapport au rebord extérieur de la loggia et non de la façade donnant accès à cette loggia.

Ainsi, le règlement du plan d’urbanisme de la ville de Paris distingue entre les éléments en saillie (tels les balcons) et les reliefs mettant en valeur les façades (les loggias).

Ces derniers sont ici une partie intégrante de la façade.

L’ouverture extérieure de la loggia, qu’elle soit ou non dotée d’une fenêtre, est donc une baie : elle est visée expressément par les règles de prospect du règlement.

La distance doit donc être mesurée en partant du rebord extérieur de la loggia.

Notre pratique se heurte donc à une articulation délicate entre l’autorisation de construire et les règles d’urbanisme telles les règles de prospect imposées, parfois de manière alternative dans le plan local d’urbanisme.

Au cas par cas, les opérateurs sont donc tenus d’apprécier avec rigueur chacune des règles de prospect applicable à leur projet. Un tel exercice s’avère délicat lorsque les éléments de la façade ne sont pas définis avec précision.


Bail à construction et promesse de vente : sur quel droit portera l’exercice du droit de préemption urbain ?

Eclairages sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 19 avril 2022 (N° 442150)

La simple conclusion d’un bail à construction n’entre pas dans le champ d’application du droit de préemption urbain édicté par les articles L.210-1 et L.213-1 du Code de l’Urbanisme : il ne s’agit pas, en tant que tel, d’une alinéation à titre onéreux.

En effet, le bail à construction entraine, non une aliénation mais une simple dissociation de la propriété du sol et des constructions : le bailleur demeure l’unique propriétaire des terrains – art. L.251-1 du Code de la Construction et de l’Habitation.

Le droit réel du preneur consiste alors en un droit de propriété temporaire sur les constructions ; les parties étant libres de fixer leur sort à la fin du bail – art. L.251-2 du Code de la Construction et de l’Habitation .

Elles peuvent aussi conventionnellement prévoir – ce que notre pratique dénomme parfois bail à construction “inversé” ou “à l’envers”- un bail à construction au terme duquel le preneur acquiert le terrain anciennement pris à bail et demeure propriétaire des constructions.

Le droit d’accession renaît alors à la fin du bail.

Une promesse unilatérale de vente est donc consentie au bénéfice du preneur : celui-ci dispose alors de la faculté de levée l’option, souvent, avant l’échéance du bail.

Ce bail à construction a, en réalité, vocation à réunir la propriété des constructions et du terrain, à la fin du bail, sur la tête du preneur.

Le Conseil d’Etat dans une décision du 19 avril 2022 – n° 442150 – a eu à se prononcer, pour la première fois, sur l’applicabilité du droit de préemption urbain en cas de levée, par le preneur, de l’option d’achat prévue au terme du bail.

Cette question n’est cependant pas nouvelle.

Il y a quelques temps, une réponse ministérielle – JO Sénat, du 10 janvier 2019, p.129 – considérait, avec pertinence, que lorsque le contrat de bail prévoit un transfert de la propriété du bien loué au preneur à son terme ; cette cession à titre onéreux de droits réels immobiliers conférés par un bail emphytéotique et/ou à construction est soumise au droit de préemption urbain.

Il s’agit bien d’une aliénation à titre onéreux d’un immeuble au sens de l’article L.213-1 du Code de l’urbanisme.

La question de l’application du droit de préemption méritait donc d’être posée. C’est chose faite avec cette décision du 19 avril dernier.

La cession d’un terrain par la levée d’option du bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente insérée dans un bail à construction entre dans le champ d’application du droit de préemption et ce, à défaut d’en être expressément exclue par l’article L.213-1 du Code de l’Urbanisme.

Dès lors, lorsque l’option est levée par le preneur, le Conseil d’Etat estime que le droit de préemption urbain doit être purgé.

En pratique, la déclaration d’intention d’aliéner doit mentionner uniquement les terrains et non les constructions.

En effet, le droit réel du preneur sur les constructions n’entre pas dans le champ d’application du droit de préemption. D’ailleurs le preneur n’entend pas, en ayant négocié une option d’achat, céder à terme ses constructions mais, à l’inverse, acquérir l’assiette de celles-ci.

La préemption porte donc uniquement sur le terrain. Et le prix est donc celui du seul terrain.

Le Conseil d’Etat estime alors avec pertinence, qu’exercée à l’occasion de la levée par le preneur de l’option prévu dans le bail à construction, la préemption a pour seul effet “de transmettre à la commune qui préempte la qualité de bailleur et ce, faisant, les obligations attachées à cette qualité, parmi lesquelles celle d’exécuter cette promesse de vente“.

La commune va, si elle préempte, acquérir un terrain grevé d’un bail à construction et avoir la qualité de bailleur.

La préemption porte donc exclusivement sur les droits du bailleur et, l’acquéreur évincé, qui n’est autre que le preneur à bail, demeure en place.

Le bail continue de courir et la commune, tenue par les droits et les obligations nés du bail n’aura d’autres choix que de revendre à l’acquéreur évincé, toujours locataire et bénéficiaire de la promesse de vente.

Ce dernier demeure in fine titulaire de l’option stipulée au contrat de bail

Est-ce là l’objet du droit de préemption tel qu’il est envisagé par l’article L.210-1 du Code de l’Urbanisme ?

Rien n’est moins sur.

Une telle opération n’entre pas dans la finalité du droit de préemption tel qu’il est institué. Ce dernier est exercé, suivant les dispositions légales, en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général et notamment, d’une opération d’aménagement ou la constitution d’une réserve foncière. Dans la décision du 19 avril dernier, la commune entendait réaliser, en préemptant, un pôle d’excellence du nautisme.

En pratique, la commune recueille dans son patrimoine une parcelle et un bail qui l’oblige, à terme, à céder le terrain au preneur.

Le droit de préemption, même acquis dans son principe, ne peut donc être mis en oeuvre : comment la commune pourrait-elle réaliser un aménagement alors même que le preneur demeure propriétaire des constructions ?

Le but poursuivi par l’exercice du droit de préemption au sens de l’article L.210-1 du Code de l’Urbanisme ne peut être atteint. La décision de préempter n’est donc pas justifiée. Et, les magistrats l’indiquent, en précisant qu’elle emporterait l’obligation, pour la commune de céder, une fois la préemption exercée, les terrains au preneur.

Espérons que cette décision donne au législateur l’occasion de légiférer sur ce point.

En effet, le Code de l’Urbanisme prévoit deux exceptions au droit de préemption, qui sont, dans leur principe, assez proche du bail à construction “inversé” : échappent ainsi au droit de préemption, les cessions d’immeubles cédés au locataire en exécution d’une promesse de vente insérée dans un contrat de crédit bail – art. L.213-1 al.2 (d) du Code de l’Urbanisme – et les aliénations de terrains, au profit du preneur à bail à construction, à l’occasion d’une opération d’accession sociale à la propriété – art. L.211-3 du Code de l’Urbanisme.

Il s’agit pour ces deux exceptions d’empêcher de faire échouer l’accession d’un preneur à la propriété d’un immeuble par l’exercice du droit de préemption.

Dans cette même logique, l’extension de ces dérogations au moment de la levée d’option d’achat du preneur d’un bail à construction peut s’entendre.

En effet, l’effectivité de la préemption est gravement compromise : la commune devient certes propriétaire du terrain mais aussi bailleur…

L’efficience de cette préemption demeure lettre morte : la commune ne réalisera pas l’opération pour laquelle elle avait préempté. Le droit de préemption perd alors toute sa justification légale et mériterait de ne pas être applicable.

Le transfert partiel du permis valant division : vers la cession de droits à construire des maisons individuelles ?

Propos autour de la décision de la troisième Chambre civile du 19 janvier 2022 (n° 20-19.329)

Le permis valant division institué par l’article R. 431-24 du Code de l’urbanisme permet, en respectant son cadre, d’obtenir une autorisation de construire sur plusieurs bâtiments ; puis, de diviser en propriété ou en jouissance le terrain d’assiette, avant achèvement du projet.

Ce permis a donc comme finalité la réalisation d’une opération immobilière d’ensemble, en ce compris, des maisons individuelles.

Il s’agit d’un permis unique mais valant division et non de plusieurs permis distincts sur des lots à bâtir ; ce qui serait caractéristique d’une opération de lotissement.

A l’inverse, lorsqu’un propriétaire divise un terrain au profit d’acquéreurs de parcelles de terrain à bâtir pour que chacun y construise une maison individuelle, il s’agit là, d’un lotissement institué par les articles L.442-1 et suivants du Code de l’urbanisme. La notion de maison individuelle est d’ailleurs définie par l’article L.231-1 du Code de la construction et de l’habitation : elle ne doit pas comporter plus de deux logements.

La réponse ministérielle Sueur (Rep. min n° 1040 , 19 avril 2018, Jo Sénat, 19 avril 2018, p.1921) et certaines réponses antérieures (Rep. min n° 16282, dite “Vauzelle”) présentaient alors comme une violation des règles du lotissement le fait de transférer le permis valant division, aux acquéreurs des terrains, pour y bâtir une maison individuelle.

Les juges du fond relevaient aussi, lors des transferts partiels de permis valant division, une fraude au droit du lotissement (CA Paris, 22 octobre 2014, n° 13/13338).

Ainsi, céder des droits à construire portant sur une maison individuelle par la voie d’un transfert partiel de permis valant division semblait délicat.

Une telle cession devenait celle d’un terrain à bâtir et relevait de la procédure de lotissement. Elle était alors précédée d’une déclaration préalable ou d’un permis d’aménager – article R.421-19 et R.421-23 du Code de l’urbanisme.

Toutefois, une décision de la troisième Chambre civile du 19 janvier 2022 de la Cour de cassation réfute cette position.

La question posée à la Haute Juridiction est la suivante : est-il possible d’obtenir un permis valant division portant sur des maisons individuelles puis céder les terrains ainsi identifiés à des acquéreurs qui construiront alors les bâtiments autorisés ?

Les juges de droit valident les transferts partiels du permis valant division aux différents acquéreurs des terrains divisés.

Ils estiment aussi que le projet de construction autorisé par un tel permis peut porter sur des maisons individuelles.

Jusqu’alors un tel montage était délicat.

Et, la pratique notariale fait preuve d’une certaine prudence : la frontière entre la réglementation du lotissement et le permis valant division est effectivement ténue.

Mais, par cette décision, la Chambre civile de la Cour de cassation lève le voile sur nos incertitudes et entend admettre ce type de montage.

Puisque sont admis les transferts partiels de permis, chacun peut donc construire sur le terrain acquis, le bâtiment autorisé dans le cadre du permis valant division.

Et, la division peut concerner un terrain sur lequel les constructions ne sont pas encore réalisées : l’article R.431-24 du Code de l’urbanisme exige simplement la division (et non la construction de l’ensemble du projet) avant achèvement.

Au final, cette opération conduit à une division foncière et à élever, sur chaque terrain acquis, un bâtiment sous la maitrise d’ouvrage de l’acquéreur.

Elle pourrait donc aussi se réaliser par le canal d’un lotissement. En revanche, un tel montage ne peut être autorisé par la voie d’une division primaire : prévue à l’article R. 442-1, (a), du Code de l’urbanisme, elle doit être utilisée seulement si le projet porte sur un groupe de bâtiments ou un immeuble autre qu’une maison individuelle.

A l’inverse, les divisions effectuées par le permis valant division ne comporte aucune réserve relatives aux constructions sur lesquelles porte le projet.

Le permis valant division peut donc être utilisé pour la constructions de maisons individuelles au profit des acquéreurs des terrains et suppose un transfert partiel du permis

Mais, il demeure une incertitude : que deviennent les équipements communs et comment sécuriser les acquéreurs pour assurer la réalisation de ces équipements et/ou les travaux de viabilisation du terrain ?

La pratique notariale sera à même de soulever ce point et de proposer aux acquéreurs des terrains les garanties conventionnelles nécessaires à la réalisation des voiries et aux autre équipements prescrits par le permis de construire valant division.

Le succès de cet outil en dépend : il sera, à tout le moins, indispensable, lors de la cession de garantir la réalisation des équipements de viabilisation des terrains issus de la division par le vendeur ou de reporter cette charge sur les acquéreurs.

Pouvons nous parier que le législateur ou le Conseil d’Etat se saisisse à son tour de cette question ?

L’avenir le dira mais l’une de ces interventions serait bienvenue pour clarifier encore la pratique du permis valant division.

L’absence de rétroactivité des hypothèques légales spéciales : un principe loin d’être indolore dans la pratique notariale !

Nul ne l’ignore : depuis le 1er janvier 2022, suite à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, les privilèges spéciaux immobiliers transformés en hypothèques légales spéciales perdent leur rétroactivité.

Seuls, les actes authentiques de vente signés avant le 1er janvier 2022, permettent encore, aux sûretés légales devenues aujourd’hui des hypothèques légales spéciales, d’avoir un effet rétroactif et ce, même si l’acte de vente est publié après le 1er janvier 2022 (article 37 IV de l’ordonnance).

Une fois ce principe posé, l’heure est à la réflexion.

Les hypothèques légales spéciales de l’article 2402 du Code civil prennent rang, selon l’article 2418 du Code civil, à compter de leurs inscriptions ; étant entendu que seul est dispensé d’inscription, l’ancien privilège du syndicat des copropriétaires devenu lui aussi une hypothèque légale spéciale (art. 2402 (4) du Code civil ).

Mais, l’hypothèque légale spéciale du vendeur prime celle du prêteur de deniers lorsqu’elles sont inscrites de manière simultanée (art. 2418 al.5 du Code civil).

Ainsi, les hypothèques légales spéciales ne prendront plus rang à la date de la naissance de la créance.

Leur rétroactivité est devenue lettre morte alors qu’elle trouvait sa justification, notamment pour les privilèges les plus courants, en la protection du vendeur, du copartageant et du créancier subrogé, le plus souvent, au vendeur.

La rétroactivité permettait aussi de manière plus prosaïque de conserver le rang de l’inscription face à un rejet ou un refus du service de la publicité foncière.

Ainsi, la perte du rang de cette inscription n’était pas de mise.

Il suffisait de faire un acte rectificatif puis, de déposer à nouveau le bordereau d’inscription et ce, dans le délai légal de deux mois à compter de la signature de l’acte de vente, pour bénéficier de la rétroactivité.

Depuis le 1er janvier 2022, le moindre refus de la part de la publicité foncière afférent à une hypothèque légale spéciale, retardera d’autant son inscription.

Il existe donc, de prime abord, un risque non négligeable : celui que d’autres inscriptions soient prises après la publication de l’acte et avant celle de l’hypothèque légale spéciale.

Ces inscriptions pourront être du chef de l’acquéreur !

Il ne s’agit donc pas ici des prises d’inscriptions intercalaires du chef du vendeur entre la signature de l’acte et sa publication.

On le constate, l’hypothèque légale spéciale dépourvue de rétroactivité peut perdre, de fait, son premier rang…

Il est vrai, la cession d’antériorité aura la faculté de le lui faire retrouver (art. 2473 al.2 du Code civil). Mais, elle suppose, un accord entre les différents créanciers inscrits, dont la négociation, n’est ni certaine, ni aisée.

La disparition de la rétroactivité pourrait être lourde de conséquences dans nos financements : elle n’assure plus l’inscription de l’hypothèque légale spéciale de concert avec la publication de l’acte de vente.

Toutefois, lorsqu’un seul notaire interviendra à l’acte, en sa qualité de rédacteur de l’acte de vente et du prêt, l’inscription et la publication seront aisément réalisées le même jour.

Dans cette hypothèse, l’absence de rétroactivité n’a pas réellement d’incidences par rapport à la pratique antérieure.

Mais qu’en est-il lorsque plusieurs notaires interviendront à l’acte ? Comment organiser la publication simultanée de l’acte de vente et de l’inscription de l’hypothèque légale spéciale ?

La sécurité juridique des financements des plus courants aux plus complexes, dépend de la réponse pratique à cette question.

Lorsque les privilèges étaient rétroactifs, le notaire rédacteur de l’acte de prêt pouvait procéder aux formalités afférentes au privilège du prêteur de deniers sans se soucier de la date de la publication de l’acte de vente.

Si le notaire rédacteur avait déjà publié l’acte de vente, la rétroactivité du privilège permettait d’assurer à son bénéficiaire une inscription de premier rang.

Aujourd’hui, rien n’est moins sûr.

Il nous appartient de proposer des solutions aux différents créanciers bénéficiaires de ces hypothèques légales spéciales pour privilégier une inscription de premier rang et donc, en théorie, sans délai à compter du jour où l’acte de vente est publié.

Une inscription sans délai est une vision de l’esprit face à l’intervention de notaires en participation.

Dès lors, en notre qualité de rédacteur d’acte, il nous suffit d’organiser, en amont, une inscription de l’hypothèque légale spéciale et une publication de l’acte concomitante.

Ne nous est-il pas possible, par une clause insérée dans l’acte de vente, de fixer la compétence d’un des notaires intervenant à l’acte et de lui donner mandat pour déposer les différents bordereaux d’inscription et de publication ?

Cette solution conventionnelle a le mérite de la simplicité et de la clarté : l’inscription et la publication de l’acte de vente sont réalisés simultanément, alors même, que plusieurs notaires interviennent.

Il serait d’ailleurs logique que cette mission appartienne au notaire rédacteur de l’acte.

A défaut, les services de formalités auront bien du mal à se coordonner pour réaliser les inscriptions et publications de manière simultanées.

Ainsi, si l’acte de vente est publié par un notaire et l’hypothèque légale inscrite par un autre, il est délicat d’en assurer la concomitance.

Une telle méthode est périlleuse : de fait, il n’est plus alors certain que le créancier bénéficiaire de l’hypothèque légale spéciale vienne en premier rang.

Ainsi, dès lors que l’acte de vente est publié, une autre inscription peut grever le bien et en l’absence de rétroactivité l’hypothèque légale spéciale perd son rang.

Donner conventionnellement compétence à un seul notaire pour procéder à l’inscription et à la publication de l’acte de vente est une solution.

Les conventions de rang hypothécaire sont aussi en mesure d’y trouver un nouvel avenir : ne pourraient-elles pas devenir un outil permettant, s’il s’avère un incident lors du dépôt de l’inscription de l’hypothèque légale spéciale au service de la publicité foncière, d’assurer aux créanciers le rang voulu?

Cette question mérite d’être posée face à l’absence de rétroactivité des hypothèques légales spéciales et, notamment, dans nos dossiers de financement dotés de plusieurs créanciers.

La disparition de la rétroactivité des privilèges n’est donc pas seulement la fin d’un principe ancestral. Elle peut être un danger réel pour les créanciers.

Nous nous devons de proposer des solutions alternatives permettant de conserver le rang des créanciers au plus près de la date de la publication de l’acte de vente.

Quel avenir pour les lots transitoires, non conformes à l’article 1er (I) de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, après le 23 novembre 2021 ?

Le lot transitoire est érigé, en droit positif, au rang de lot de copropriété.

Ainsi, le droit de construire constitue à lui seul la partie privative, auquel une quote-part de parties communes doit être attachée.

Ce lot existe bien que la construction et/ou l’aménagement envisagé (s) ne soit (en) pas réalisé (s).

Les difficultés du lot transitoire viennent de la non-réalisation des ouvrages avec, toutefois, l’obligation d’en payer les charges.

Le droit prétorien, en son temps, reconnait l’existence du lot transitoire : c’est un « lot privatif composé pour sa partie privative du droit exclusif d’utiliser le sol pour édifier une construction et d’une quote-part de parties communes » (voir par exemple, Cass. civ. 3, 3 novembre 2016, n° 15-14.895 et 15-15.113). La partie privative est constituée du droit de construire un ou plusieurs bâtiments (Cass. civ. 3, 18 septembre 2013, n° 12-16.357).

La « Loi ELAN » du 23 novembre 2018 a créé à l’article 1er (I) de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 une définition légale du lot transitoire : « il est alors formé d’une partie privative constituée d’un droit de construire précisément défini quant aux constructions qu’il permet de réaliser et d’une quote-part de parties communes correspondante“.

Mais, « la création et la consistance du lot transitoire sont stipulées dans le règlement de copropriété. »

De fait, une dichotomie s’installe entre les lots transitoires désignés conformément aux exigences de la loi ELAN et, ceux, qui n’ont pas été mis en conformité avec le nouveau dispositif.

Il n’est donc plus possible de se contenter de définir vaguement le lot transitoire dans le règlement de copropriété, voire dans l’état descriptif de division.

Dans la décision du 17 juin dernier, le lot transitoire était mentionné uniquement dans l’état descriptif de division, sans aucune précision sur la nature des édifications prévues. Une mise en conformité du règlement de copropriété était donc nécessaire, pour les décrire précisément puis, insérer cette description dans l’état descriptif de division.

Au vu de ces insuffisances, les juges du fond estiment ce lot inexistant car n’ayant fait l’objet d’aucune consistance précise dans le règlement et l’état descriptif. Il ne peut donc être qualifié de lot transitoire au sens de l’article 1er (I) de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965.

Une telle décision est censurée par les juges de droit.

En effet, en l’état actuel des textes, le délai pour mettre les règlements de copropriété en conformité expirera le 23 novembre 2021.

En l’espèce, ce délai n’était pas encore arrivé à terme.

Il n’est donc pas envisageable de constater que le droit de construire ainsi prévu n’est pas un lot transitoire au sens de l’article 1 er (I) de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 .

L’obligation de définir le droit à construire ne peut être sanctionné tant que le délai de mise en conformité des règlements de copropriété n’a pas expiré.

En exigeant une définition plus précise du droit à construire dans le règlement de copropriété pour reconnaitre l’existence d’un lot transitoire, la Cour d’appel a fait fi du délai ainsi imparti.

En effet, l’article 206 de la loi du 23 novembre 2018 a pour but de laisser aux syndicats de copropriétaires un délai de trois ans pour définir précisément le lot transitoire dans le règlement de copropriété.

Mais alors et à l’inverse, que va t-il se passer après le 23 novembre 2021 lorsque le syndicat des copropriétaires n’aura pas procédé à cette mise en conformité ?

De deux choses l’une :

-soit, le lot transitoire n’est pas pris en compte dans le règlement de copropriété : il ne peut avoir une existence juridique par le biais de le mise en conformité.

-soit, la consistance du lot transitoire n’est pas précisée dans le règlement, comme l’impose l’article 1er (I) de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 et, ce lot bien qu’admis en son principe, ne pourra donner lieu à un droit à construire. En ce cas, une telle clause pourra être réputée non écrite (voir en ce sens, la préconisation n° 10 du 20 octobre 2010 du GRECCO).

En réalité l’absence de mise en conformité conduit donc inexorablement à l’inexistence du lot transitoire soit dans son principe même, soit lors de sa mise en oeuvre.

En conséquence, pour bénéficier d’un lot transitoire, l’assemblée générale de la copropriété doit avoir approuvé le modificatif du règlement de copropriété avant la date butoir fixée par le législateur qui n’impose pas, pour l’instant, dans ce même délai, la publication dudit modificatif.

La vigilance est de mise pour procéder dans les délais légaux à la mise en conformité des lots transitoires sous peine de voir ces derniers devenirs inexistants.


Gageons néanmoins que l’article 24 de l’actuel projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique sera promulgué avant le 21 novembre 2021.

En effet, il prolonge de trois ans la durée accordée aux syndicats de copropriété pour procéder à la mise à jour de leurs règlements; portant ainsi le délai de mise en conformité au 23 novembre 2024.

La société civile, marchand de biens : de l’art de démontrer l’intention spéculative (propos autour de la décision de la CAA de Marseille du 1er juillet 2021)

Certaines sociétés civiles sont parfois dans le viseur de l’administration fiscale quant à l’exacte qualification de leurs activités immobilières et, plus particulièrement, lorsqu’il s’agit de celle de marchands de biens.

Par principe, une société civile est considérée comme exerçant la profession de marchand de biens si les opérations immobilières d’achat et de revente présentent un caractère habituel et qu’il existe une intention spéculative au moment de l’acte d’acquisition (art. 35 I (1°) du CGI) qui n’est autre que l’intention de revendre.

Peu importe, que l’activité de marchands de biens soit exercée à titre professionnel ou principal (QE n° 88380 de M. Le Guen Jacques, JOANQ 14 mars 2006, réponse publ. 2 mai 2006 p. 4698, 12ème législature).

En vue d’apprécier si ces conditions sont remplies, il convient bien entendu d’étudier les statuts.

Et, lorsque l’activité réelle de la société ne correspond pas au pacte social, la question est alors posée de la nature effective de son activité (voir en ce sens, https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/4717-PGP.html/identifiant=BOI-BIC-CHAMP-20-10-20-40-20120912).

La réponse dépend alors des circonstances de la cause.

La condition de l’habitude peut, à l’évidence, se caractériser par une répétition d’actes.

Elle peut aussi se manifester par un seul acte, dans la mesure où l’on décèle une volonté de la part de son auteur d’en accomplir d’autres. Ainsi, en présence d’un achat unique suivi de la revente par lots, le Conseil d’Etat regarde la condition d’habitude comme satisfaite (voir , CE, Plénière, 12 juin 1992, n° 67758 et n° 67759, SCI du 6, rue de l’Aude – CE, 9° et 10° s-s-r., 25 avril 2003, n° 205099, Blonde ).

Quant à l’intention spéculative, elle est plus délicate à établir et s’apprécie au moment de l’acquisition ( voir, CE 3° et 8°, 2 juin 2006, n° 266507) : c’est en réalité l’intention de revendre qui dépend elle-même des circonstances concrètes de chaque acquisition et des déclarations de l’acquéreur.

Cette intention s’établit alors par un ensemble d’indices ( CE ,19-11-2008, n° 291039) : la durée de détention, la localisation e l’immeuble et la valorisation espérée, le bref délai entre l’achat et la revente…

Les opérations imposables en qualité de marchand de biens présentent donc un caractère habituel et procèdent d’une intention spéculative et donc d’une intention de revendre

Factuels, ces deux critères cumulatifs donnent lieu à contentieux.

Remplissent ainsi ces critères deux sociétés civiles (CAA Paris, 10ème ch., 18 février 2014, n° 13PA01756, inédit au recueil Lebon ) qui d’une part, revendent leur patrimoine immobilier dans un délai de deux à six ans après l’acquisition avec un durée de détention brève du bien immobilier. Et, d’autre part, achètent leur patrimoine immobilier dans des quartiers résidentiels de la capitale ou de la banlieue ouest de Paris – lieu où l’augmentation du prix de l’immobilier est de plus 130 % en moyenne – permettant ainsi une valorisation importante de ce patrimoine.

Plus récemment, dans un arrêt du 1er juillet 2021, la cour administrative d’appel de Marseille est revenue sur l’existence de l’intention spéculative et donc de l’intention de revendre (CAA Marseille, 1er juillet 2021, n° 20MA01445 ).

En l’espèce, une société civile achète deux terrains, l’un en 1978 et l’autre en 1981. Lors de chaque acquisition, la société civile s’engage à viabiliser les terrains et construire des villas dans un délai de 4 ans, afin de bénéficier du régime particulier de la TVA « immobilière » lequel permet de déduire la TVA des actes d’acquisitions.

A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration révèle que la cessions de deux terrains a eu lieu en 2015; soit 34 ans après l’acquisition pour l’un et 38 ans pour l’autre. Il apparait alors délicat de démontrer l’intention de revendre plus de trente ans après l’acte d’acquisition.

Pour autant, les juges ont apprécié l’intention spéculative lors de l’achat des terrains en utilisant la méthode du faisceau d’indices.

En l’occurrence, l’intention spéculative est caractérisée au jour de l’acquisition par l’observation des décisions de gestion de la société (comme l’inscription comptable des terrains en stocks, la déductibilité de la TVA concernant les actes d’acquisition, l’obtention d’un permis d’aménagement…).

L’intention spéculative s’apprécie à la date de l’acquisition et ce, même si les immeubles sont acquis depuis plus de trente ans.

Ainsi, si au moment de la vente, le cédant entreprend des démarches actives de commercialisation foncière “ telles que la réalisation de travaux de viabilisation ou la mise en oeuvre de moyens de commercialisation de type professionnel, similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, et qu’elle permet ainsi de le regarder comme ayant exercé une activité économique, la livraison est imposable“, l’intention spéculative n’est pas contestable alors même, qu’il n’y a pas eu les constructions promises sur les terrains.

Quelques années avant, la Cour d’Appel de Paris estime que la construction des biens immobiliers cédés, réalisée plus de dix ans après l’acquisition, démontre l’absence d’intention spéculative au jour de l’acquisition du terrain (CA Paris, 5 juillet 2019, n° 17PA22522).

En revanche, l’intention de revendre est un critère insuffisant pour qualifier la société civile de marchand de biens.

Il est nécessaire de relever aussi le caractère habituel de cette activité. En l’espèce, au vu du délai écoulé entre l’acquisition et la revente, l’opération est occasionnelle et réalisée dans le cadre de l’exercice du droit de propriété des associés de la société civile.

L’écoulement du temps a alors joué en faveur du caractère ponctuelle de l’opération démontrant ainsi l’absence d’habitude.

Par conséquent, la société civile ne peut être qualifiée de marchand de biens.

Toutefois, cette décision précise, pour la première fois, que l’intention de revendre peut être appréciée rétroactivement plus de trente ans après l’acte d’acquisition.

Mais, il en est ainsi uniquement parce que la société civile avait pris des décisions en assemblée générale indiquant sa volonté de valoriser les terrains avant de les revendre. La preuve de l’intention de revendre était alors établie par ses actes.

En réalité, plus que jamais les critères sont factuels et ce n’est qu’un faisceau d’indices qui guidera l’appréciation in concreto des juges du fond quant à l’existence de l’intention spéculative et de la condition d’habitude.

La prescription trentenaire profite aux créanciers bénéficiaires d’une sûreté réelle immobilière pour autrui : propos autour de la décision de la Chambre commerciale du 2 juin 2021

La Cour de cassation n’a de cesse, de poser pas à pas, les règles relatives aux sûretés réelles pour autrui. C’est à nouveau le cas, pour la sûreté immobilière, avec cette décision du 2 juin 2021 (n° 20-12.908) de la chambre commerciale.

Cette fois, la question de la prescription y est abordée : la sûreté réelle pour autrui, par essence, limitée au bien affecté en garantie, est soumise à la prescription trentenaire, et non quinquennale, de l’article 2227 du Code civil.

Cette solution est dans la droite ligne du droit positif.

Il y a quelques mois, cette même Chambre commerciale (voir notre actualité du 31 janvier 2021) affirmait que le créancier, bénéficiaire d’une sureté réelle pour autrui est créancier du débiteur de la dette et, qu’en conséquence, il peut poursuivre son constituant.

Et ce, même si le débiteur est en procédure collective et protégé par la suspension des poursuites de l’article L.622-21 du Code de commerce. Et, le créancier ne sera pas, non plus, contraint de déclarer sa créance au passif de la procédure collective du débiteur de la dette ainsi garantie.

La sûreté réelle pour autrui, gagne peu à peu ses lettres de noblesse.

Son cadre juridique se précise au fil du temps : elle est limitée au bien donné en garantie (Cass. civile, 3ème, 12 avril 2018, n° 17-17.542). Son constituant ne profite pas des bénéfices de discussion et/ou de division (Cass civile 1ère, 25 novembre 2015, n° 14-21.332), de l’obligation d’information (Cass civile 1ère, 7 février 2006, n° 02-16.010) et la banque n’est pas tenue d’un devoir de mise en garde à son égard (Cass. com, 24 mars 2009, n° 08-13.034).

Son efficience est à nouveau assurée par la Chambre commerciale : les créanciers bénéficient d’un droit d’action trentenaire pour poursuivre la réalisation de cette sûreté.

Pour ce qui est du jeu de la prescription, une distinction entre la sûreté hypothécaire classique et la sûreté réelle pour autrui est alors nécessaire.

En effet, lorsque l’immeuble hypothéqué est détenu par le débiteur, l’hypothèque subsiste tant que l’obligation principale existe car elle en est son accessoire. La prescription de la créance garantie recouvre celle de l’hypothèque (voir en ce sens, Civile, 3ème, 12 mai 2021, n° 19-16.514).

En d’autres termes, la prescription concerne et l’obligation principale et l’action en paiement. Elle emporte, par voie de conséquence, l’extinction de l’hypothèque ou du privilège. Cette solution est logique : le débiteur, propriétaire de l’immeuble hypothéqué est tenu personnellement à la dette.

Tel n’est pas le cas du constituant de la sûreté réelle immobilière pour autrui.

Ainsi, le tiers détenteur de l’immeuble hypothéqué est tenu seulement “réellement” de la dette garantie.

L’immeuble est alors entre les mains d’un tiers, non tenu personnellement à la dette : l’hypothèque peut alors faire l’objet d’une prescription autonome par rapport à l’obligation qu’elle garantit.

D’ailleurs, il résulte de l’article 2488 du Code civil – au visa de la décision du 2 juin 2021 – que la prescription est acquise au tiers détenteur par “le temps réglé pour la prescription de la propriété à son profit”.

Celui qui est tenu réellement assume certes une obligation. Mais, ce n’est pas une obligation personnelle à la dette.

En son temps, la pratique notariale s’en était d’ailleurs inquiétée.

Elle s’interrogeait, en présence de l’affectation hypothécaire par un tiers – pour laquelle, il n’y a nulle trace d’engagement personnel – si l’acte pouvait néanmoins être revêtu de la formule exécutoire. On aurait pu penser que seule une obligation personnelle bénéficiait de ce privilège.

II n’en est rien (voir en ce sens, la décision de la Cour de cassation du 6 juin 1996, n° 94-20.293).

Les créanciers, bénéficiaires d’une sûreté réelle pour autrui, constatée par un acte authentique et constitutif de l’affectation hypothécaire ont bien un titre exécutoire.

Celui-ci permet une prescription trentenaire et donc un délai d’action favorable aux créanciers poursuivant la réalisation de cette sûreté.

Même si il est délicat pour le constituant d’une sûreté réelle, tenue personnellement de garantir l’hypothèque dont son immeuble est grevé, de prescrire contre son titre, cette règle rejaillit au bénéfice des créanciers.

Dans l’arrêt du 2 juin dernier, les juges de droit cassent l’arrêt d’appel. Celle-ci avait déclaré les hypothèques prescrites et ordonner la radiation sur le fondement de la prescription quinquennale. La Cour de cassation estime qu’en statuant ainsi, alors “qu’ayant relevé que les garants s’étaient rendus cautions « simplement hypothécaires » de l’emprunteur, de sorte que l’affectation de leurs biens en garantie de la dette d’autrui avait la nature d’une sûreté réelle immobilière soumise à la prescription trentenaire, la cour d’appel a violé les textes visés“.

Les créanciers bénéficiaires d’une sûreté réelle pour autrui peuvent se réjouir de cette décision qui, par le jeu de la prescription, continue à forger les règles propres à la sûreté réelle pour autrui et à en assurer l’efficacité.

Le droit positif éclaircit la notion de sûreté réelle pour autrui et lui permet d’être efficace. Si celle-ci est clairement rédigée, elle est assise uniquement sur le bien objet de la garantie et assure une sécurité juridique avérée pour le créancier.

Espérons que l’avenir législatif entende conserver cette ligner directrice. L’une des finalités de la réforme du droit des sûretés à venir est d’améliorer la lisibilité du régime juridique du cautionnement.

L’avant-projet de l’Association Henri Capitant, a cependant pris, le contre-pied de la jurisprudence qualifiant cette sûreté de cautionnement (avant-projet de réforme art. 2291) et, permettant à la caution d’opposer au créancier toutes les exceptions personnelles ou inhérentes à la dette du débiteur (avant-projet de réforme art. 2299).

Espérons que le législateur entende la position de la Cour de cassation et conserve cette sûreté réelle pour autrui comme la pratique l’a imaginée et le droit positif fait évoluer.

Montage d’opération immobilière en milieu rural ou la délicate conciliation des intérêts en présence.

Le 15 avril dernier, les juges de droit, rendent huit décisions distinctes et annulent un acte destiné manifestement à contourner le droit de préemption du preneur à bail rural – Civiles, 3ème , 15 avril 2021, n° 20-15.332 , n° 20-15.334 n° 20-15.335 , n° 20-15.336 n° 20-15.337 , n° 20-15.339 , n° 20-15.340, n° 20-15.342 .

Le bailleur a ainsi consenti une donation avec charges à des personnes inconnues sur des parcelles loués, donation lui autorisant à ne pas purger le droit de préemption du preneur à bail rural. Celui-ci soulève donc la nullité de l’opération.

Il est entendu par les juges de droit.

Ils estiment qu’il s’agit là d’une manoeuvre frauduleuse pour contourner le droit de préemption du preneur en place : la donation était constituée pour empêcher l’exercice d’un tel droit – même si en apparence elle n’est pas constitutive d’une aliénation à titre onéreux et est exclue du droit de préemption du preneur à bail, au titre de l’article L.412-1 du Code rural.

En l’espèce, la question ne s’est pas posée au regard du droit de préemption de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER). Si elle l’avait été, cette donation aurait été soumise à ce droit de préemption car, réalisée au profit de personnes étrangères aux membres de la famille, tels que ces derniers sont définis à l’article L.143-16 du Code rural.

Ces décisions récentes nous donnent l’occasion de réfléchir à la structuration de nos montages immobiliers sur des terres à vocation agricole.

La pratique notariale rencontre souvent le dilemme suivant : le client nous demande de lui assurer qu’il sera acquéreur du foncier alors que nous connaissons le risque d’une préemption.

S’il est des domaines où les intérêts en présence peuvent ainsi devenir conflictuels, c’est celui de l’acquisition et/ou de l’implantation en milieu rural de sociétés autres qu’agricoles telles que les entreprises d’énergie renouvelable.

Par essence, ce type d’exploitation a besoin de terrains ruraux – sauf à se situer dans un schéma sans acquisition du foncier, basé sur des divisions en volume de l’immeuble permettant, par exemple, à la toiture d’accueillir les panneaux photovoltaiques.

Lorsque la société exploitante entend acquérir le foncier pour permettre la création puis le développement d’une centrale solaire ou géothermique ou d’un parc éolien; elle a une crainte : celle du droit de préemption du preneur à bail rural ou de la SAFER.

Cette crainte est justifiée : si les parcelles sont exploitées par un preneur à bail depuis au moins trois ans, ce dernier dispose d’un droit de préemption – article L.412-5 du Code rural. Si les parcelles sont libres mais qu’elles sont situées dans une zone à usage agricole, elles vont être considérées comme des terrains à vocation agricole : la SAFER dispose alors d’un droit de préemption – article L.143-1 du Code rural.

Comment pouvons nous alors répondre aux attentes des clients, acquéreurs d’une assiette foncière et, dont le projet ne peut souffrir une préemption au regard de ses enjeux économiques et stratégiques ?

Cette épée de Damoclès pèse sur la faisabilité des opérations et, sur le développement à terme, des énergies renouvelables basées sur la maitrise du foncier.

En effet, la structuration envisagée ne doit pas faire suspecter une quelconque fraude aux droits de préemption en présence.

Si le preneur ou la SAFER démontre le caractère artificiel du montage, permettant un transfert de propriété sans purge des droits de préemption, la transaction sera systématiquement annulée par les tribunaux sans préjudice des dommages et intérêts dus, le cas échéant.

Les exemples sont rares et méritent d’être signalés.

Ainsi, la Haute Juridiction considère, dans les arrêts du 15 avril 2021, qu’une donation avec charges à des inconnus est une fraude au droit de préemption du preneur à bail rural.

L’on peut aussi imaginer, pour éviter le droit de préemption de la SAFER, démembrer le bien immobilier en cédant seulement la nue-propriété des terres. En effet, une telle cession est soumise uniquement dans trois hypothèses au droit de préemption – article L.143-1 alinéa 5 du Code rural – et il suffit d’en être exclu.

Dès lors, en présence d’une fraude et donc en démontrant que les vendeurs entendent céder à bref délai l’usufruit – Civile, 3ème, 7 février 1996, n° 93-19.591 – et donc reconstituer la pleine propriété – Civile, 3ème, 18 février 2014, n° 12-29.648 -, la nullité de l’opération est envisageable.

Une telle action en nullité est d’ailleurs recevable, tant par le preneur que par la SAFER, à bref délai et ce, sous peine de forclusion.

Le preneur a, pour agir, six mois à compter du jour où il a connaissance de la date de la vente (article L.412-12 alinéa 3 du Code rural) . Quant à la SAFER, son délai d’action est similaire, car elle doit aussi agir dans les six mois de la publication de l’acte de vente (article L. 141-1-1 II du Code rural).

Chacun d’eux pourra, par cette action, annuler la vente ou se substituer au tiers acquéreur.

Il est donc essentiel de rechercher les montages non artificiels permettant à chacun des opérateurs en milieu rural d’être serein quant à l’insertion du projet sur des terres agricoles et à sa pérennité, seule garantie de sa rentabilité.

Une voie médiane mérite d’être tracée : celle d’intégrer dans ces projets d’énergie renouvelable, les acteurs du monde agricole.

Tel est déjà le cas des fermes photovoltaiques, de la construction des hangars agricoles érigés en volume pour produire de l’énergie radiative et des vignes solaires, inaugurées il y a peu.

Ainsi, il est nécessaire, non pas d’imaginer des montages dont le but seraient de contourner les droits de préemption existant en milieu rural, mais de créer des structures juridiques had hoc permettant d’acquérir l’assiette foncière pour la réalisation d’un projet tout en pérennisant la vocation agricole du foncier et son exploitation rural.