Retour sur la décision du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022 – n° 454521-
Le délai d’instruction d’une autorisation d’urbanisme court – art. R 423-19 du Code de l’urbanisme – à compter de la réception en mairie d’un dossier complet et, donc d’un dossier doté de l’ensemble des pièces, requises par la loi et, transmis au service instructeur – art. R. 431-4 du Code de l’urbanisme.
En cas de pièces manquantes, l’administration doit notifier au pétitionnaire la liste de celles-ci et ce, dans un délai d’un mois, suivant le dépôt du dossier.
A défaut de notification dans ce délai, le dossier est réputé complet dès sa réception en mairie – art. R.423-22 du Code de l’urbanisme : il s’agit alors du point de départ du délai d’instruction.
Selon une lecture exégétique des textes du Code de l’urbanisme, la liste des pièces prévue pour chacune des autorisations est limitative – art. L.423-1 du Code de l’urbanisme tel qu’issu de la loi ELAN : il s’agit d’ailleurs de pièces générales toujours obligatoires et de celles propres au projet envisagé. Aucune autre information ou pièces ne peut être exigée par l’autorité compétente – art. R.423-38 du Code de l’Urbanisme.
Pour autant, nombre de services instructeurs sollicitent des pièces autres et non visées par les textes.
Cet usage permet de reporter, de facto, le point de départ du délai d’instruction à une date ultérieure et d’autant le terme du délai d’instruction de la demande d’autorisation.
Pourtant, le facteur “temps” est lui aussi une pièce maitresse d’un projet immobilier.
Comment, face à une telle demande, le pétitionnaire doit-il répondre à l’autorité compétente ?
Doit-il considérer que la pièce demandée n’étant pas exigée par les textes, la demande est illégale ? Et, comprendre alors que le délai d’instruction n’est pas interrompu et qu’à son terme, le cas échéant, il bénéficiera d’une décision tacite.
Ou, finalement, doit-il estimer que la liste des pièces fixée par le Code de l’urbanisme est un leurre ?
L’administration pourrait ainsi demander n’importe quelles pièces et rallonger les délais d’instruction.
C’est en ce sens que le Conseil d’Etat s’est prononcé le 9 décembre 2015 considérant qu’une demande illégale de pièces “ne saurait avoir pour effet de rendre le pétitionnaire titulaire d’une décision implicite de non-opposition » – Commune d’Asnières-sur-Nouère, n°390273.
Dès lors, aucune autorisation tacite n’en résultait au terme du délai d’instruction.
Rien ne dissuade alors le service instructeur d’avoir un comportement dilatoire pour gagner du temps en prolongeant ainsi la durée de l’instruction.
En effet, lorsqu’une telle pièce est ainsi demandée dans le délai d’un mois – art. R 423-22 du Code de l’urbanisme- , le pétitionnaire a trois mois pour la produire et le délai, dans cet attente, cesse de courir. Une fois cette pièce produite, alors même que la demande est illégale, le délai d’instruction repart et, à son terme, un refus est toujours possible, et ce, sans rapport avec la pièce complémentaire exigée.
Fort heureusement, le 9 décembre dernier, le Conseil d’Etat, adopte une lecture exégétique des textes : il opère un revirement indispensable et attendu par les praticiens et les porteurs de projet immobilier.
La Haute juridiction décide, dans un arrêt de principe, qu’en présence d’une demande illégale de pièces complémentaires, le délai d’instruction de l’ensemble des autorisations d’urbanisme – déclaration, permis de construire, d’aménager, de démolir- n’est pas interrompu : une décision tacite nait alors, à la fin de l’instruction.
Il est toujours envisageable d’exiger des pièces autres que celles visées par le Code de l’urbanisme mais cette pratique est désormais vouée à l’échec : le délai d’instruction est hors d’atteinte et, à son terme, une autorisation tacite sera acquise.
C’est en réalité un retour à l’orthodoxie juridique entamé timidement par une décision du Conseil d’Etat en date du 13 novembre 2019 – n° 419067 : était illégale la décision de refus d’une autorisation fondée sur une pièce “hors liste” du Code de l’urbanisme.
Toutefois, les termes de l’article R. 423-41 du Code de l’urbanisme sont nettement plus rigoureux.
Une demande de production de pièce manquante ne portant pas sur l’une des pièces énumérées par le présent code n’a pas pour effet de modifier les délais d’instruction.
Dès lors, au terme du délai d’instruction, l’autorisation est acquise sous réserve des hypothèses de l’article R.424-2 du Code de l’urbanisme où le silence de l’administration vaut décision implicite de rejet – projets sur des immeubles inscrits au titre des monuments historiques, faisant l’objet d’une autorisation d’exploitation commerciale etc…
Reste alors à obtenir, pour preuve de l’autorisation tacite, le certificat mentionné à l’article R.424-13 du Code de l’urbanisme.
Malgré ce revirement, les opérationnels, dont les enjeux sont importants, choisiront parfois de transmettre certaines pièces “hors liste” et d’accepter l’allongement des délais de l’instruction. Ils sont ici guidés par la peur d’un refus ou d’un retrait de l’autorisation.
Cette position est compréhensible.
Cependant cette décision du Conseil d’Etat ouvre la voie vers une autre dialectique.
Concilier les intérêts en présence est alors indispensable notamment pour ne pas créer des tensions susceptibles de surgir lorsque le pétitionnaire estimera être titulaire d’un permis tacite alors que les services instructeurs ne l’entendront pas ainsi !