Les projets d’aménagement naissent souvent des réserves foncières constituées par les personnes publiques.
Elles ont recours, à défaut de vente amiable, au droit de préemption et le cas échéant, à la procédure spéciale d’expropriation de l’article L.221-1 du Code de l’urbanisme à des fins de constitution de réserves foncières.
Les personnes publiques bénéficient alternativement de ces différents outils pour mettre en pratique leur stratégie de développement.
Une commune sans droit de préemption dans la zone voulue peut alors, utiliser la procédure d’expropriation.
Les réserves foncière ainsi constituées vont permettre de créer différentes opérations d’aménagements visées par l’article L.300-1 du Code de l’urbanisme telles que des zones d’aménagements concertées, des opérations de restauration immobilières, des lotissements, des remembrements…
De telles réserves répondent donc à une finalité précise et correspondent à des projets d’une ampleur et d’une complexité certaines.
Pour autant, pèse sur la personne publique propriétaire, une obligation : celle d’assurer une gestion raisonnable de la réserve foncière avant son utilisation définitive.
Et, lorsque la réserve foncière est en milieu rural, cette gestion prend souvent la forme d’une exploitation agricole.
Ces réserves foncières en milieu rural ont effectivement horreur du vide. Il est donc impératif de les exploiter pour les entretenir dans l’attente du projet.
L’article L.221-2 du Code de l’urbanisme autorise alors la conclusion de concession temporaire de terres agricoles.
Cette concession n’est pas un bail rural.
Le preneur ne bénéficie pas des dispositions du Code rural : c’est une convention exclue du statut du fermage en application de l’article L.411-2 du Code rural car conclue en application de dispositions législatives particulières issues du Code de l’urbanisme.
L’immeuble, au terme de cette occupation temporaire, sera repris pour faire l’objet de l’aménagement envisagé.
Cette reprise suppose le respect d’un préavis fixé par l’article L.221-2 du Code de l’urbanisme permettant ainsi de respecter les échéances de la récolte ou, le cas échéant, d’indemniser le preneur de sa perte.
La concession restreint donc les droits du preneur : elle lui confère une jouissance précaire justifiée par l’opération d’aménagement à venir.
Cette précarité se justifie par la réalisation future d’un projet d’aménagement sans qu’aucun délai de réalisation soit imposé.
De fait, le bénéficiaire exploitant de la concession détient “une simple servitude d’occupation temporaire” constituée dans un but d’utilité publique : celui de gérer l’immeuble rural dans l’attente de l’aménagement projeté.
Cette concession peut donc durer plusieurs années : celle-ci est simplement liée à l’aboutissement du projet d’aménagement dans un futur plus ou moins proche.
Mais que devient cette convention lorsque le projet d’aménagement envisagé est abandonné?
En d’autres termes, le preneur en place bénéficiaire d’une concession temporaire ne lui conférant aucun droit au renouvellement ou droit de préemption conserve t-il ce statut alors même que l’immeuble n’est pas affecté à l’opération d’aménagement ?
C’est à cette question que la Cour de cassation a répondu dans une décision du 27 février 2020.
En l’espèce, un établissement public foncier avait acquis des parcelles de terre en vue de la constitution d’une réserve foncière. Ces parcelles ont fait l’objet de concession annuelle temporaire pendant dix ans. Mais, l’établissement public abandonne le projet initial et envisage de céder les terrains, objet de la réserve foncière, à une société d’aménagement foncier et d’établissement rural. Il annonce donc aux preneurs en place qu’il est nécessaire de libérer les lieux.
Les exploitants agricoles contestent et revendiquent le statut du fermage.
La réserve foncière ne sera pas utilisée pour une opération d’aménagement : l’exclusion du statut du fermage, d’ordre public, n’a plus lieu d’être.
La Haute juridiction casse la décision d’appel et leur donne raison.
En effet, l’événement qui a donné lieu à la concession temporaire ne se réalisera pas.
Or, celle-ci était autorisée uniquement en fonction de cet aménagement futur.
A partir du moment où celui-ci disparait, le droit rural reprend ses droits et, le preneur peut alors revendiquer l’existence d’un bail rural puisque les conditions de celui-ci sont réunies.
En l’espèce, il s’agissait conformément à l’article L.411-1 du Code rural, d’une mise à disposition d’un immeuble à usage agricole, à titre onéreux, en vue de l’exploiter pour y exercer l’activité agricole
La Haute Juridiction relève l’abandon du projet d’urbanisme ayant justifié la constitution de la réserve foncière. Les immeubles ont donc perdu cette nature et les preneurs exploitants peuvent se maintenir dans les lieux et bénéficier d’un bail rural.
Ainsi, le preneur doté au départ d’une jouissance provisoire se retrouve, du fait de l’abandon du projet d’aménagement, avec la qualité de preneur à bail rural : le droit au renouvellement, le droit de préemption, la possible cession du bail à un membre de sa famille ou la transmission de celui-ci en cas de décès sont différents droits, qui lui sont alors acquis, de plein droit.
Cette décision est importante.
Le projet d’aménagement doit se situer dans les limites du possible et être mûrement réfléchi par les acteurs publics.
Un abandon de celui-ci fait perdre aux immeubles la qualité de réserve foncière. Il peut conduire inexorablement ces différents terrains ainsi acquis vers un avenir tout autre : celui d’une exploitation agricole, en faire valoir indirect, bien loin des préoccupations initiales d’aménagement….
Et, cet avenir peut, par le jeu du bail rural, perdurer dans le temps.