Eclairages sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 19 avril 2022 (N° 442150)
La simple conclusion d’un bail à construction n’entre pas dans le champ d’application du droit de préemption urbain édicté par les articles L.210-1 et L.213-1 du Code de l’Urbanisme : il ne s’agit pas, en tant que tel, d’une alinéation à titre onéreux.
En effet, le bail à construction entraine, non une aliénation mais une simple dissociation de la propriété du sol et des constructions : le bailleur demeure l’unique propriétaire des terrains – art. L.251-1 du Code de la Construction et de l’Habitation.
Le droit réel du preneur consiste alors en un droit de propriété temporaire sur les constructions ; les parties étant libres de fixer leur sort à la fin du bail – art. L.251-2 du Code de la Construction et de l’Habitation .
Elles peuvent aussi conventionnellement prévoir – ce que notre pratique dénomme parfois bail à construction “inversé” ou “à l’envers”- un bail à construction au terme duquel le preneur acquiert le terrain anciennement pris à bail et demeure propriétaire des constructions.
Le droit d’accession renaît alors à la fin du bail.
Une promesse unilatérale de vente est donc consentie au bénéfice du preneur : celui-ci dispose alors de la faculté de levée l’option, souvent, avant l’échéance du bail.
Ce bail à construction a, en réalité, vocation à réunir la propriété des constructions et du terrain, à la fin du bail, sur la tête du preneur.
Le Conseil d’Etat dans une décision du 19 avril 2022 – n° 442150 – a eu à se prononcer, pour la première fois, sur l’applicabilité du droit de préemption urbain en cas de levée, par le preneur, de l’option d’achat prévue au terme du bail.
Cette question n’est cependant pas nouvelle.
Il y a quelques temps, une réponse ministérielle – JO Sénat, du 10 janvier 2019, p.129 – considérait, avec pertinence, que lorsque le contrat de bail prévoit un transfert de la propriété du bien loué au preneur à son terme ; cette cession à titre onéreux de droits réels immobiliers conférés par un bail emphytéotique et/ou à construction est soumise au droit de préemption urbain.
Il s’agit bien d’une aliénation à titre onéreux d’un immeuble au sens de l’article L.213-1 du Code de l’urbanisme.
La question de l’application du droit de préemption méritait donc d’être posée. C’est chose faite avec cette décision du 19 avril dernier.
La cession d’un terrain par la levée d’option du bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente insérée dans un bail à construction entre dans le champ d’application du droit de préemption et ce, à défaut d’en être expressément exclue par l’article L.213-1 du Code de l’Urbanisme.
Dès lors, lorsque l’option est levée par le preneur, le Conseil d’Etat estime que le droit de préemption urbain doit être purgé.
En pratique, la déclaration d’intention d’aliéner doit mentionner uniquement les terrains et non les constructions.
En effet, le droit réel du preneur sur les constructions n’entre pas dans le champ d’application du droit de préemption. D’ailleurs le preneur n’entend pas, en ayant négocié une option d’achat, céder à terme ses constructions mais, à l’inverse, acquérir l’assiette de celles-ci.
La préemption porte donc uniquement sur le terrain. Et le prix est donc celui du seul terrain.
Le Conseil d’Etat estime alors avec pertinence, qu’exercée à l’occasion de la levée par le preneur de l’option prévu dans le bail à construction, la préemption a pour seul effet “de transmettre à la commune qui préempte la qualité de bailleur et ce, faisant, les obligations attachées à cette qualité, parmi lesquelles celle d’exécuter cette promesse de vente“.
La commune va, si elle préempte, acquérir un terrain grevé d’un bail à construction et avoir la qualité de bailleur.
La préemption porte donc exclusivement sur les droits du bailleur et, l’acquéreur évincé, qui n’est autre que le preneur à bail, demeure en place.
Le bail continue de courir et la commune, tenue par les droits et les obligations nés du bail n’aura d’autres choix que de revendre à l’acquéreur évincé, toujours locataire et bénéficiaire de la promesse de vente.
Ce dernier demeure in fine titulaire de l’option stipulée au contrat de bail
Est-ce là l’objet du droit de préemption tel qu’il est envisagé par l’article L.210-1 du Code de l’Urbanisme ?
Rien n’est moins sur.
Une telle opération n’entre pas dans la finalité du droit de préemption tel qu’il est institué. Ce dernier est exercé, suivant les dispositions légales, en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général et notamment, d’une opération d’aménagement ou la constitution d’une réserve foncière. Dans la décision du 19 avril dernier, la commune entendait réaliser, en préemptant, un pôle d’excellence du nautisme.
En pratique, la commune recueille dans son patrimoine une parcelle et un bail qui l’oblige, à terme, à céder le terrain au preneur.
Le droit de préemption, même acquis dans son principe, ne peut donc être mis en oeuvre : comment la commune pourrait-elle réaliser un aménagement alors même que le preneur demeure propriétaire des constructions ?
Le but poursuivi par l’exercice du droit de préemption au sens de l’article L.210-1 du Code de l’Urbanisme ne peut être atteint. La décision de préempter n’est donc pas justifiée. Et, les magistrats l’indiquent, en précisant qu’elle emporterait l’obligation, pour la commune de céder, une fois la préemption exercée, les terrains au preneur.
Espérons que cette décision donne au législateur l’occasion de légiférer sur ce point.
En effet, le Code de l’Urbanisme prévoit deux exceptions au droit de préemption, qui sont, dans leur principe, assez proche du bail à construction “inversé” : échappent ainsi au droit de préemption, les cessions d’immeubles cédés au locataire en exécution d’une promesse de vente insérée dans un contrat de crédit bail – art. L.213-1 al.2 (d) du Code de l’Urbanisme – et les aliénations de terrains, au profit du preneur à bail à construction, à l’occasion d’une opération d’accession sociale à la propriété – art. L.211-3 du Code de l’Urbanisme.
Il s’agit pour ces deux exceptions d’empêcher de faire échouer l’accession d’un preneur à la propriété d’un immeuble par l’exercice du droit de préemption.
Dans cette même logique, l’extension de ces dérogations au moment de la levée d’option d’achat du preneur d’un bail à construction peut s’entendre.
En effet, l’effectivité de la préemption est gravement compromise : la commune devient certes propriétaire du terrain mais aussi bailleur…
L’efficience de cette préemption demeure lettre morte : la commune ne réalisera pas l’opération pour laquelle elle avait préempté. Le droit de préemption perd alors toute sa justification légale et mériterait de ne pas être applicable.