Instruction des autorisations d’urbanisme : les services instructeurs tenus de respecter la liste règlementaire des pièces exigibles !

Retour sur la décision du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022 – n° 454521-

Le délai d’instruction d’une autorisation d’urbanisme court – art. R 423-19 du Code de l’urbanisme – à compter de la réception en mairie d’un dossier complet et, donc d’un dossier doté de l’ensemble des pièces, requises par la loi et, transmis au service instructeur – art. R. 431-4 du Code de l’urbanisme.

En cas de pièces manquantes, l’administration doit notifier au pétitionnaire la liste de celles-ci et ce, dans un délai d’un mois, suivant le dépôt du dossier.

A défaut de notification dans ce délai, le dossier est réputé complet dès sa réception en mairie – art. R.423-22 du Code de l’urbanisme : il s’agit alors du point de départ du délai d’instruction.

Selon une lecture exégétique des textes du Code de l’urbanisme, la liste des pièces prévue pour chacune des autorisations est limitative – art. L.423-1 du Code de l’urbanisme tel qu’issu de la loi ELAN : il s’agit d’ailleurs de pièces générales toujours obligatoires et de celles propres au projet envisagé. Aucune autre information ou pièces ne peut être exigée par l’autorité compétente – art. R.423-38 du Code de l’Urbanisme.

Pour autant, nombre de services instructeurs sollicitent des pièces autres et non visées par les textes.

Cet usage permet de reporter, de facto, le point de départ du délai d’instruction à une date ultérieure et d’autant le terme du délai d’instruction de la demande d’autorisation.

Pourtant, le facteur “temps” est lui aussi une pièce maitresse d’un projet immobilier.

Comment, face à une telle demande, le pétitionnaire doit-il répondre à l’autorité compétente ?

Doit-il considérer que la pièce demandée n’étant pas exigée par les textes, la demande est illégale ? Et, comprendre alors que le délai d’instruction n’est pas interrompu et qu’à son terme, le cas échéant, il bénéficiera d’une décision tacite.

Ou, finalement, doit-il estimer que la liste des pièces fixée par le Code de l’urbanisme est un leurre ?

L’administration pourrait ainsi demander n’importe quelles pièces et rallonger les délais d’instruction.

C’est en ce sens que le Conseil d’Etat s’est prononcé le 9 décembre 2015 considérant qu’une demande illégale de pièces “ne saurait avoir pour effet de rendre le pétitionnaire titulaire d’une décision implicite de non-opposition » – Commune d’Asnières-sur-Nouère, n°390273.

Dès lors, aucune autorisation tacite n’en résultait au terme du délai d’instruction.

Rien ne dissuade alors le service instructeur d’avoir un comportement dilatoire pour gagner du temps en prolongeant ainsi la durée de l’instruction.

En effet, lorsqu’une telle pièce est ainsi demandée dans le délai d’un mois – art. R 423-22 du Code de l’urbanisme- , le pétitionnaire a trois mois pour la produire et le délai, dans cet attente, cesse de courir. Une fois cette pièce produite, alors même que la demande est illégale, le délai d’instruction repart et, à son terme, un refus est toujours possible, et ce, sans rapport avec la pièce complémentaire exigée.

Fort heureusement, le 9 décembre dernier, le Conseil d’Etat, adopte une lecture exégétique des textes : il opère un revirement indispensable et attendu par les praticiens et les porteurs de projet immobilier.

La Haute juridiction décide, dans un arrêt de principe, qu’en présence d’une demande illégale de pièces complémentaires, le délai d’instruction de l’ensemble des autorisations d’urbanisme – déclaration, permis de construire, d’aménager, de démolir- n’est pas interrompu : une décision tacite nait alors, à la fin de l’instruction.

Il est toujours envisageable d’exiger des pièces autres que celles visées par le Code de l’urbanisme mais cette pratique est désormais vouée à l’échec : le délai d’instruction est hors d’atteinte et, à son terme, une autorisation tacite sera acquise.

C’est en réalité un retour à l’orthodoxie juridique entamé timidement par une décision du Conseil d’Etat en date du 13 novembre 2019 – n° 419067 : était illégale la décision de refus d’une autorisation fondée sur une pièce “hors liste” du Code de l’urbanisme.

Toutefois, les termes de l’article R. 423-41 du Code de l’urbanisme sont nettement plus rigoureux.

Une demande de production de pièce manquante ne portant pas sur l’une des pièces énumérées par le présent code n’a pas pour effet de modifier les délais d’instruction.

Dès lors, au terme du délai d’instruction, l’autorisation est acquise sous réserve des hypothèses de l’article R.424-2 du Code de l’urbanisme où le silence de l’administration vaut décision implicite de rejet – projets sur des immeubles inscrits au titre des monuments historiques, faisant l’objet d’une autorisation d’exploitation commerciale etc…

Reste alors à obtenir, pour preuve de l’autorisation tacite, le certificat mentionné à l’article R.424-13 du Code de l’urbanisme.

Malgré ce revirement, les opérationnels, dont les enjeux sont importants, choisiront parfois de transmettre certaines pièces “hors liste” et d’accepter l’allongement des délais de l’instruction. Ils sont ici guidés par la peur d’un refus ou d’un retrait de l’autorisation.

Cette position est compréhensible.

Cependant cette décision du Conseil d’Etat ouvre la voie vers une autre dialectique.

Concilier les intérêts en présence est alors indispensable notamment pour ne pas créer des tensions susceptibles de surgir lorsque le pétitionnaire estimera être titulaire d’un permis tacite alors que les services instructeurs ne l’entendront pas ainsi !

La mise en œuvre du droit de préférence de L.331-19 du Code forestier ne donne pas naissance à une offre de vente au profit de son bénéficiaire !

Propos autour de la décision de la troisième chambre civile de la Cour de Cassation du 28 septembre 2023 (n° 22-15.576).

Afin de lutter contre le morcellement des forêts, le législateur a institué un droit de préférence au profit de propriétaire (s) forestier (s) d’une ou plusieurs parcelle (s) contiguë(s) en cas de vente d’une parcelle boisée d’une superficie de moins de 4 hectares.

Ce droit légal d’acquisition prioritaire contribue ainsi à la restructuration des petites parcelles boisées morcelées, en permettant une nouvelle unité foncière avec les parcelles forestières voisines.

Ce droit de préférence suppose, pour pouvoir trouver à s’appliquer, qu’un propriétaire vende une parcelle boisée, classée au cadastre en nature de bois et d’une superficie totale inférieure à quatre hectares.

Ainsi, s’agissant des biens susceptibles d’être soumis à cette préférence légale, l’article L. 331-19 alinéa 1er du Code forestier, dispose qu’il doit s’agir “d’une propriété classée au cadastre en nature de bois et forêts“, d’une superficie précise et limitée.

La parcelle vendue doit réellement être constituée de bois et, être classée comme telle au cadastre – catégorie 5.

En revanche, s’agissant de la parcelle contiguë de celle vendue, elle doit seulement être en nature réelle de bois, c’est-à-dire porter effectivement des plantations, des semis et/ou des boisements d’une certaine densité.

Et, la nature du classement au cadastre de ladite parcelle est indifférente.

En effet, la référence faite par la loi aux indications du cadastre est réalisée uniquement afin de déterminer l’identité des “propriétaires”, bénéficiaires du droit de préférence, de sorte de limiter le champ des recherches qui doivent être accomplies aux seuls propriétaires figurant au cadastre.

Ces indications cadastrales ont alors une portée et une valeur juridiques : elles permettent d’établir des droits de priorité au profit de ceux identifiés comme propriétaires et des obligations pour ceux qui possèdent les parcelles visées par l’article L.331-19 du Code forestier.

Le droit prétorien, en la matière, est assez rare.

La décision rendue par la Cour de cassation en date du 28 septembre 2023 mérite donc d’être signalée.

Elle répond à la question de savoir si le propriétaire forestier, titulaire d’un droit de préférence en vertu de l’article L. 331-19 du Code forestier peut obtenir la vente forcée de la parcelle lorsque le vendeur refuse de la lui vendre et, choisit, de renoncer à la vente.

Pour exercer la purge de ce droit, le vendeur est tenu de notifier aux propriétaires d’une parcelle boisée contiguë le prix et les conditions de la cession projetée, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou, lorsque le nombre de notifications est égal ou supérieur à dix, par voie d’affichage en mairie durant un mois doublée d’une publication d’un avis dans un journal d’annonces légales -art. L.331-19 alinéa 2 du Code forestier.

Tout propriétaire d’une parcelle boisée contiguë dispose d’un délai de deux mois à compter de la notification pour faire connaître au vendeur, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par remise contre récépissé, qu’il exerce son droit de préférence aux prix et conditions qui lui sont indiqués par le vendeur.

Lorsque plusieurs propriétaires de parcelles contiguës exercent leur droit de préférence, le vendeur choisit librement celui auquel il souhaite céder son bien.

Mais, l’article L.331-19 du Code forestier ne précise pas la valeur juridique de cette notification : emporte t-elle offre de vente ou indique t-elle une simple intention de vendre ?

C’est au législateur, en principe, d’indiquer la valeur des notifications réalisées en application d’un droit de priorité qu’il soit de préemption ou de préférence.

Ces dernières sont souvent assimilées à des offres de vente : tel est le cas notamment du droit de préemption du preneur à bail organisé par l’article L.412-8 al.2 du Code rural ou de celui du locataire au titre de l’article 15 II de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.

Sur ce point l’article L.331-19 du Code forestier est silencieux.

Mais alors, que se passe-t-il si le vendeur entend ne plus céder sa parcelle alors même qu’un des bénéficiaires du droit de préférence manifeste sa volonté d’acquérir ?

Les juges de droit répondent de manière pragmatique : ce vendeur peut renoncer à céder sa parcelle. Il n’y a pas eu, de sa part, une offre de vente et, il demeure libre de contracter ou pas.

Ainsi, transmettre le projet de vente aux bénéficiaires du droit de préférence n’est pas un engagement de vendre et ne vaut pas offre ferme de vendre au bénéficiaire.

C’est alors une simple formalité ouvrant une phase de discussion pouvant mener vers un accord contractuel.

Le doute sur la valeur de la notification de l’article L. 331-19 du Code forestier n’existe plus. Elle ne vaut pas promesse unilatérale de vente au sens de l’article 1589 du Code civil.

Cette décision de principe est un retour approprié à l’orthodoxie juridique des droits de préférence.

La volonté du vendeur retrouve une place plus juste : il est libre de contracter.

Dès lors, si le bénéficiaire du droit manifeste sa volonté d’acquérir, l’expression de cette volonté n’induit pas l’obligation de lui vendre le bien mais simplement de ne pas le vendre à un tiers.

La liberté contractuelle du vendeur est ainsi sauvegardé autant que sa propriété.

Le “coliving”, un logement comme un autre ?

Lorsque nos modes de vie évoluent et donnent lieu à la création de nouveaux concepts tels que le “coliving” ou encore le “coworking”, les rédacteurs des plans locaux d’urbanisme sont appelés à réfléchir sur la manière d’appréhender ces notions pour les intégrer dans les différentes destinations des constructions autorisées, sur un territoire donné.

Les auteurs des PLU ont, en effet, toute latitude, dans le respect des règles nationales d’urbanisme, pour préciser l’affectation des sols – commerce, habitation – ou la nature des activités autorisées et/ou interdites; et, définir, en fonction des situations locales, les règles concernant la destination et la nature des constructions.

Ils peuvent aussi préciser la destination et la sous-destination des bâtiments tel que définies par le Code de l’Urbanisme en ses articles R. 151-27 et R. 151-28.

Chaque destination principale – exploitation agricole et forestière ; habitation ; commerce et activités de service ; équipement d’intérêt collectif et services publics ; autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire- est subdivisée en « sous-destinations ».

L’article R. 151-28 du Code de l’Urbanisme indique ces 20 sous-destinations contenues dans les destinations précédentes.

Un arrêté du 10 novembre 2016, complété par une fiche technique élaborée par le ministère du Logement et de l’Habitat durable – Fiche technique n° 6, Réforme des destinations de construction, publiée en 2015 par le ministère du Logement et de l’Habitat durable- explicite le contenu des sous-destinations récemment modifié par un décret n° 2020-78 du 31 janvier 2020.

Les porteurs de projet sont tenus de prendre en compte l’ensemble de ces destinations et sous-destinations réglementées par les plans locaux d’urbanisme auxquels ils sont soumis.

Et, l’option faite par le constructeur, dans sa demande d’autorisation d’urbanisme d’une sous-destination précise n’est pas neutre notamment lorsqu’il s’agit de l’hébergement et du logement.

Très concrètement, la sous-destination hébergement, permet d’éviter des contraintes applicables uniquement aux logements telle que les servitudes de mixité sociale et l’obligation de création de places de stationnement.

La viabilité économique du projet de construction dépend donc aussi du choix de la destination et de la sous-destination de la construction dans le dépôt de l’autorisation initiale.

A ce titre, le choix de la sous-destination hébergement propre au “coliving” suppose de ne pas construire ou rénover de véritables logements.

Ainsi, si le principe du “vivre ensemble” est simple, il est néanmoins à la croisée des chemins d’une pluralité de règles et souvent, aux frontières, de notions existantes.

C’est dire que, confronté aux projets de “coliving”, le législateur doit concevoir pas à pas son cadre juridique.

Le droit positif lui emboîte néanmoins le pas : en témoigne une décision d’importance de la Cour d’Appel de Bordeaux du 6 juillet 2023 – n° 22BXO1135.

Dans cette affaire, le constructeur titulaire d’une autorisation pour bâtir du “coliving” construisit, en réalité, de véritables logements.

Les services de la mairie rendus sur place ont constaté dans le bâtiment l’existence de chambres équipées de salle d’eau et de toilettes individuelles étant entendu que leurs portes disposaient chacune d’une serrure et d’un œilleton.

Par ailleurs, les annonces pour la location de ces chambres sur le site internet « moncoliving.fr », précisaient leurs différentes éléments d’équipement et notamment la présence de réfrigérateurs, de plaques de cuisson amovibles ou même, parfois d’un lave-linge.

Les juges du fond considèrent alors que le bâtiment est constitué de logements neufs. En tant que tels, ces derniers ne respectent donc pas le nombre de place de stationnement requises dans le plan local d’urbanisme de Bordeaux métropole.

Cette décision en témoigne : les juges administratifs, pas à pas, face au silence du législateur, posent des critères factuels permettant de faire entrer ou non le “coliving” dans une des sous-destinations de la destination habitation de l’article R.151-27 du Code de l’Urbanisme.

Si les locataires de ces derniers, disposent, d’une totale autonomie et ne dépendent pas des services proposés dans les parties communes des bâtiments, il s’agit alors d’habitats indépendants dotés, en plus, d’espaces communs utilisables par tous.

Cet habitat sera intégré dans la sous-destination logement de l’article R.151-28 du Code de l’Urbanisme.

A l’inverse, si l’immeuble est doté d’espaces partagés et d’espaces privatifs, propres à chaque locataire mais, ne leur permettant pas de vivre en totale autonomie, il s’agit d’un “coliving”.

Le “coliving” quant à lui sera assimilé à la sous-destination hébergement. Il n’est pas un simple assemblage de logements indépendants mais une véritable structuration immobilière du “vivre ensemble”.

Il est donc temps que le législateur se saisisse de cette nouvelle notion : les défis juridiques sont nombreux tant le “coliving” offre des réalités diverses, inconnues jusqu’alors de l’immobilier résidentiel.

La difficulté réelle est donc de distinguer ce qui relève du logement ou de l’hébergement dans la destination habitation.

Rien n’est définitivement figé, autant que rien n’est complètement résolu et certaines questions restent en suspens.

Mais il est une certitude : les porteurs de projet ne peuvent faire passer des logements “classiques” pour du “coliving” pour augmenter le nombre de logements autorisés par le permis de construire. Les autorités administratives aidées par le droit positif ont aujourd’hui suffisamment de critères factuels pour détecter une telle tentative.

Le droit de préférence de l’article L.146-45-1 du Code de commerce ne profite pas au preneur à bail commercial d’un local industriel

Propos autour de la décision n° 22-16.034 de la troisième Chambre Civile du 29 juin 2023

La question posée à la Haute juridiction est, simple, en la forme : le droit de préférence du preneur à bail commercial, au titre de l’article L.145-46-1 du Code de commerce, est-il applicable aux locaux industriels ?

En l’espèce, le locataire bénéficiait d’un bail commercial soumis aux articles L.145-1 et suivants du Code de commerce.

La destination contractuelle des lieux loués était la fabrication d’agglomérés et, la préfabrication de certains éléments de construction.

Il s’agissait donc non pas d’un local commercial mais d’un véritable local industriel.

Cependant, le statut des baux commerciaux s’applique, d’après l’article L.145-1 du Code de commerce aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité que ce fond appartienne à un commerçant ou à un industriel, immatriculé au registre du commerce et des sociétés.

Il était donc logique, une fois ce statut applicable, qu’il le soit dans son ensemble en ce compris l’article L.145-46-1 du Code de commerce.

Mais, la Haute juridiction ne l’entend pas ainsi. Elle adopte, dans cet arrêt, à la valeur de décision de principe, une interprétation stricte de l’article L. 145-46-1 : cette disposition du Code de commerce, vise le locataire “d’un local à usage commercial ou artisanal” et, les locaux industriels en sont absents.

Le droit de préférence institué par l’article L.145-46-1 du Code de commerce concerne uniquement un local artisanal et/ou commercial et non un local industriel et ce, même si le preneur est titulaire d’un bail commercial .

Les juges de droit ne s’arrêtent pas en si bon chemin : ils donnent, aussi, aux praticiens une définition pragmatique du local industriel.

C’est un “local principalement affecté à l’exercice d’une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers (..)”.

Le local doit donc être principalement un local industriel. Et, toute activité commerciale accessoire n’opérera aucune modification quant à l’application éventuelle du droit de préférence tel qu’issu du Code de commerce.

A l’inverse, si l’activité commerciale est l’activité principale, peu importe l’existence d’une activité industrielle accessoire, l’article L.145-46-1 du Code de commerce sera applicable.

Nous devons alors, en cas de vente de l’immeuble, déterminer, face à un locataire aux activités plurales, laquelle de ces activités est principale afin d’en déduire la nature du local occupé et l’application ou non du droit de préférence légal.

Il s’agit ici certes d’une questions de fait mais aussi de droit. La destination contractuelle inscrite dans le bail commercial prend ici toute son importance si elle est conforme à son usage réel.

Dans cette décision, les termes du bail, laissaient entendre un usage industriel et non commercial. Et l’affectation réelle du local était bien industrielle.

Qu’on se le tienne pour dit : dès lors qu’un bail commercial portera sur un local abritant une activité industrielle – aujourd’hui définie par la Cour de cassation- , le locataire n’aura aucun droit de préférence légal.

La plume du rédacteur d’actes saura alors devenir pertinente pour laisser au locataire une priorité d’acquisition : la rédaction d’un pacte de préférence conventionnel va s’imposer.

Le locataire d’un bien immobilier industriel pourra ainsi, par le biais d’une clause de l’acte, bénéficier d’un droit de préférence sur le local, droit conventionnel inscrit dans le marbre de la convention.

En d’autres termes, seul le local commercial ou artisanal entre dans le champ d’application de l’article L.145-46-1 du Code de commerce et ce, conformément à une analyse exégétique de ce texte.

Mais alors, qu’adviendra-t-il de notre pratique en matière de bureaux après cette première décision des juges de droit ?

Le droit positif vient en effet de trancher la question des locaux industriels mais celle relative à l’applicabilité du droit de préférence aux bureaux n’a pas encore fait l’objet d’un arrêt de la Cour de cassation.

Des juridictions d’appel estiment que les bureaux loués destinés à une activité commerciale au sens de l’article L.110-1 du Code de commerce sont des locaux à usage commercial – CA Paris, 5-3, 1er décembre 2021, n° 20/00194 ; CA Rennes, 11 janvier 2022, n° 20/01661. Et, le locataire bénéficie alors du droit de préférence légal.

A l’inverse, et en raisonnement par analogie avec les locaux industriels, il serait logique que les bureaux loués pour une activité professionnelle soient exclus du droit de préférence légal; étant entendu qu’ils sont nullement visés à l’article L.145-1 du Code de commerce.

Les juges du fond s’attachent à l’usage effectif des locaux par le locataire nonobstant la destination contractuelle des lieux loués; destination ne laissant pas toujours entendre une activité commerciale.

Pas à pas la Haute juridiction, soucieuse de respecter la lettre du texte de l’article L.145-46-1 du Code de commerce entend en donner une interprétation stricte.

Un constat s’impose : les juges de droit devront un jour prochain se pencher sur la question des bureaux.

En effet, l’amendement n°148 visant à étendre le droit de préférence prévu à l’article L. 145-46-1 du Code de commerce aux bureaux de professionnels non commerçants pratiquant une activité libérale ne fut pas adopté.

Tout comme les locaux industriels, les praticiens ont besoin d’une définition précise de la notion de bureaux pour acquérir la certitude qu’ils sont, soit soumis à l’article L.146-45-1 du Code de commerce soit, exclus.

Propriétaires de terrains : attention à ne pas devenir détenteurs de déchets !

A quel moment les objets accumulés sur un terrain deviennent-ils des déchets au sens de l’article L.541-1-1 du Code de l’Environnement pour lesquels le détenteur et/ou le propriétaire risque d’être sanctionné par la police des déchets ?

Le Conseil d’Etat répond à cette interrogation dans une décision du 26 juin 2023 – n° 457040.

Ainsi, des objets hétéroclites déposés par le détenteur sur un terrain dont il est propriétaire peuvent être regardés comme des déchets, au sens de l’article L.541-1-1 du Code de l’Environnement.

Juridiquement, le déchet correspond à « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ».

En pratique, cela signifie que tout objet dont on veut se défaire ou dont on doit se défaire serait constitutif d’un déchet.

Et, les producteurs ou détenteurs de celui-ci sont les seuls chargés de son élimination dont ils sont, d’ailleurs, responsables. L’article L. 541-1-1 du Code de l’Environnement définit le producteur de déchets de la manière suivante : « toute personne dont l’activité produit des déchets (producteur initial de déchets) ou toute personne qui effectue des opérations de traitement des déchets conduisant à un changement de la nature ou de la composition de ces déchets (producteur subséquent de déchets) ».

Mais, à défaut, de pouvoir identifier un producteur, la gestion des déchets incombe au détenteur.

Selon ce même article, est détenteur de déchets : « le producteur des déchets ou toute autre personne qui se trouve en possession des déchets ».

Au surplus, conformément à l’article L. 556-3 du Code de l’Environnement, en l’absence de producteur ou de détenteur connu des déchets, le propriétaire du terrain sur lequel ils sont déposés peut être regardé comme le détenteur au sens de l’article L. 541-2 du Code de l’Environnement et en être le seul garant.

A l’inverse, le seul fait d’être propriétaire du terrain où se trouve le déchet n’implique pas d’en être le détenteur.

Il est néanmoins nécessaire de rapporter la preuve d’une absence de négligence fautive quant au traitement de ces déchets pour ne pas être tenu pour responsable de leur abandon -CE, 13 octobre 2017, n° 397031.

En effet, le propriétaire négligent sera obligé, à tout le moins, de l’élimination à ses frais des déchets se trouvant sur son terrain.

De deux choses l’une :

Le propriétaire découvre qu’un tiers a abandonné des déchets sur son terrain.

Il aura alors intérêt à informer sans délai la commune du lieu de situation de l’immeuble et faire constater les faits; tout en démontrant qu’il demeure étranger à cet abandon.

Seul, le véritable détenteur en sera alors responsable.

Ou, le propriétaire est également le détenteur des déchets, par négligence.

Cet abandon de déchets ou dépôt sauvage sera alors susceptible de sanctions à son encontre.

L’article L. 541-3 (I) du Code de l’Environnement encadre les pouvoirs de l’autorité administrative en cas d’abandon, de dépôt ou de gestion illégale des déchets :

« […] Lorsque des déchets sont abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour leur application (..) l’autorité titulaire du pouvoir de police compétente avise le producteur ou détenteur de déchets des faits qui lui sont reprochés ainsi que des sanctions qu’il encourt et, après l’avoir informé de la possibilité de présenter ses observations, écrites ou orales, dans un délai de dix jours (..) peut lui ordonner le paiement d’une amende au plus égale à 15 000 euros et le mettre en demeure d’effectuer les opérations nécessaires au respect de cette réglementation dans un délai déterminé.

Et, la loi « climat et résilience » insère un nouveau délit à l’article L. 541-46 du Code de l’environnement : le non-respect de la mise en demeure visée par l’article L.541-3 (I) du Code de l’Environnement est puni de trois ans d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende lorsque cette infraction expose directement la faune, la flore ou la qualité de l’eau à un risque immédiat d’atteinte grave et durable.

Force est alors de constater que, pas à pas, un cadre juridique se construit pour lutter contre le fléau de l’abandon des déchets.

Les propriétaires de terrains peuvent, dès lors, se voir rappeler à l’ordre !

Dans ce contexte, les magistrats du Conseil d’Etat estiment que lorsque des biens se trouvent, compte tenu en particulier de leur état matériel, de leur perte d’usage et de la durée et des conditions de leur dépôt, en état d’abandon sur un terrain, ils peuvent alors être regardés comme des biens dont leur détenteur s’est effectivement défait et présenter le caractère de déchets au regard de l’article L. 541-1-1 du Code de l’Environnement; alors même qu’ils y sont déposés par le propriétaire du terrain.

Après cette décision, un bien sera aussi qualifié de déchet au vu de son état et de ses conditions de dépôt : une appréciation pragmatique est alors adoptée.

Les magistrats entendent ainsi certainement simplifier l’exercice, par les maires, de la police administrative des déchets.

Ils sont, en effet, tenus de contrôler ces dépôts sur leur territoire : il faut alors acquérir de façon tangible la certitude de l’abandon du bien par son détenteur.

Ces critères s’ajoutent à celui du caractère suffisamment certain d’une réutilisation du bien sans opération de transformation préalable -Conseil d’Etat, 24 novembre 2021, n°437105 : ainsi, et “aux fins d’apprécier si un bien constitue ou non un déchet au sens de ces dispositions, il y a notamment lieu de prendre en compte le caractère suffisamment certain d’une réutilisation du bien sans opération de transformation préalable” .

Mais demeure néanmoins une interrogation d’importance : comment acquérir la certitude qu’un bien fera ou non l’objet d’une réutilisation sans transformation préalable ?

Le Conseil d’Etat ne nous apporte aucune réponse.

Cette décision du 26 juin 2023 précise simplement : est insuffisante, l’affirmation du propriétaire du terrain indiquant qu’il n’entendait pas se défaire du bien – mais sans pour autant indiquer son utilisation ultérieure- pour contester la présence de déchets sur son terrain et ce, lorsque les autres critères sont remplis.

Il est en effet un principe constant : nul ne peut se constituer de preuve à soi-même. Le propriétaire du terrain devait , pour se décharger de sa responsabilité, apporter des éléments de preuve extérieurs. Une simple déclaration de sa part est irrecevable.

L’abandon des déchets n’est donc pas l’apanage des installations classées : un pouvoir spécial de police instauré à l’article L.541-3 du Code de l’Environnement est le gardien de l’abandon de déchets et ce, quel que soit la qualité de leurs auteurs.

Les propriétaires de terrains n’en sont donc pas exempts !

L’héritier réservataire, le légataire universel et la déclaration de succession : une trilogie délicate

Retour sur la décision du Conseil constitutionnel du 1er juin 2023 n° 2023-1051 QPC

L’héritier réservataire est-il tenu de déposer, en présence d’un légataire universel, une déclaration de succession dans les six mois du décès?

Le Conseil constitutionnel a répondu par l’affirmative, à l’occasion, d’une question prioritaire de constitutionnalité.

La doctrine administrative, il est vrai, est claire sur ce sujet.

Ainsi, « le délai fixé par la loi est le même pour tous. Il s’applique même aux héritiers ou légataires mineurs. Ce délai court du jour du décès, sans que l’administration ait à prouver l’acceptation des héritiers, donataires ou légataires. Le principe est applicable même lorsque les successibles contestent la validité du testament laissé par le défunt. Ainsi, en principe, tout héritier apparent doit déclarer la succession dans le délai légal, même s’il n’a pas encore obtenu la délivrance de son legs ou si la dévolution héréditaire est contestée »(V. BOI-ENR-DMTG-10-60-50, 30 oct. 2014, § 40).

Le seul cas particulier est celui de la contestation des droits successoraux pouvant donner lieu à un report du délai de l’article 641 du Code Général des Impôts et ce, à certaines conditions – Cass. com, 5 mars 1991, n° 89-18298.

Mais un légataire universel, est, dès le jour du décès, immédiatement saisi de l’intégralité de l’actif successoral.

L’héritier réservataire obtient, quant à lui, le règlement de sa réserve héréditaire par le paiement, le cas échéant, de l’indemnité de réduction lui revenant, lorsque ses droits sont déterminés.

Celui-ci a intérêt à fixer rapidement le montant de sa créance, afin d’éviter toute source de difficulté relative à l’état et la valorisation des biens à l’ouverture de la succession.

Mais, la fixation et le paiement de cette indemnité prennent du temps, même si les parties s’entendent à l’amiable.

Et, le délai afférent à la déclaration de succession reste, quant à lui, limité par la réglementation fiscale : l’application cumulatives des articles 724 alinéa 1 du Code civil et 641 et 1701 du Code Général des Impôts conduisent à un règlement des droits de succession dans un délai de six mois à compter du jour du décès.

Il apparait alors délicat de concilier ce délai de six mois et le temps réel de la succession !

En présence d’un légataire universel ces dispositions légales conduisent, dans certaines circonstances, l’héritier réservataire à payer les droits de succession avant le règlement de sa créance d’indemnité de réduction.

Même si héritiers et légataires se mettent d’accord et évitent ainsi un contentieux, le temps de l’accord est incompressible et dépasse souvent le délai légal de 6 mois.

Tel est le cas, dans cette décision, du 1er juin 2023.

L’administration fiscale notifie aux héritiers une proposition de rectification, du fait d’un dépôt hors délai de la déclaration de succession – intérêts de retard et une majoration de 10 % .

Le dépôt a eu lieu après le délai de 6 mois en raison de la signature d’un protocole d’accord sur le montant de l’indemnité de réduction.

La question prioritaire de constitutionnalité est donc fondée sur l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 posant le principe d’égalité devant les charges publiques  – Cass. com., 5 avril 2023, n° 23-40.001.

Ainsi, lorsque la perception d’un revenu ou d’une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource.

Dès lors, il apparait contraire à ce principe, d’obliger ici l’héritier à déposer la déclaration et à régler les droits dans ce délai légal de 6 mois.

Toutefois, le Conseil Constitutionnel estime qu’en présence d’un légataire universel, les héritiers réservataires sont tenus de verser des droits de succession au titre des biens non encore transmis et dont ils n’auraient pas encore perçu la contre-valeur imposable.

Ce n’est donc pas contraire à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme.

Les sages du Palais Royal considèrent que le versement de l’indemnité à l’héritier réservataire, retardé du fait de la présence d’un légataire universel, est sans incidence sur l’appréciation des capacités contributives de l’héritier .

S’agissant de l’héritier réservataire, créancier d’une indemnité de réduction, il ne peut donc pas différer l’exigibilité des droits de mutation afférents à sa part réservataire en invoquant le retard du légataire universel dans le paiement de sa créance.

Ainsi,  il est dans l’obligation de verser le montant des droits dus alors même qu’il n’aurait pas encore reçu le paiement de sa créance.

Les héritiers réservataire peuvent-ils alors demander au légataire le remboursement des pénalités de retard payées à l’administration fiscale ?

La réponse est négative.

L’application exégétique des articles 1705 et 1709 du Code général des Impôts – désignant les débiteurs des droits de succession – conduit la Cour de cassation à considérer que le légataire universel ne peut être tenu du règlement des droits de succession d’un bien, dont il n’est pas le bénéficiaire final – Cass. 1re civ., 10 juill. 1990, n° 88-19.475.

La position de l’administration fiscale, confortée par le Conseil Constitutionnel, s’en trouve renforcée : elle ne tiendra pas compte des circonstances empêchant le redevable de transmettre la déclaration de succession dans les 6 mois du décès notamment lorsqu’il lui est impossible, dans ce délai, de connaitre le montant de l’émolument qu’il doit recueillir.

La question est alors de sécuriser l’héritier réservataire agissant en réduction du leg universel.

Ne pourrions-nous pas suggérer au législateur d’attribuer à l’héritier réservataire une sûreté sur les biens légués tant que sa créance au titre de l’indemnité de réduction n’est pas payée?

Légalement, il suffirait de modifier l’article 924 du Code civil en attribuant, par exemple, un droit de rétention sur ces biens au profit de l’héritier réservataire et ce, dans l’attente du paiement de sa créance ou, un privilège légal du fait de sa qualité d’héritier.

A défaut, l’on ne peut que constater la situation de fragilité dans laquelle se trouve cet héritier, contraint de payer des droits, sans pouvoir connaitre de manière précise leur étendue et le quantum de l’indemnité de réduction.

Servitudes de cours communes et conditions d’éclairement des immeubles dans le PLU de la ville de Paris

Propos autour de la décision du Conseil d’Etat du 12 avril 2023, n° 451794

Le 12 avril dernier, le Conseil d’Etat se prononçait sur les articles UG 7.1 et UG 7.2 du PLU de la ville de Paris, portant respectivement sur les conditions d’éclairement des immeubles et les servitudes de cours communes entre des terrains contigus.

Les propriétaires d’appartements sur la parcelle voisine du projet entendaient annuler, en justice, le permis de construire, source pour eux de mécontentement.

D’une part, l’immeuble de six étages projeté allait faire perdre totalement leur ensoleillement aux salles de bains, alors même que ces pièces donnaient elles-mêmes sur un mur pignon mitoyen de l’immeuble, objet du permis.

Les magistrats se devaient donc d’examiner, si le projet autorisé, était de nature à pouvoir être interdit aux termes de l’article UG 7.1 du PLU de la ville de Paris.

En effet, l’implantation d’une construction en limite séparative peut être refusée, si elle a pour effet de porter gravement atteinte aux conditions d’éclairement de l’immeuble voisin.

Il y avait-il, en l’espèce, une telle atteinte ?

La réponse est négative car la gravité de l’atteinte doit s’apprécier en tenant compte des caractéristiques de la pièce, de sa destination et de l’incidence de son niveau d’éclairement sur les appartements concernés.

Manifestement, la perte d’ensoleillement d’une salle de bain n’est pas une atteinte suffisamment grave et ce d’autant plus que les fenêtres concernées étaient des “jours de souffrance” et donc, des ouvertures laissant passer la lumière sans offrir de vue et, destinées uniquement à offrir un apport lumineux.

Au surplus, il ne s’agissait pas ici d’une privation de lumière mais d’une perte d’ensoleillement

L’article UG 7.1 du PLU de la ville de Paris a d’ailleurs fait l’objet de décisions antérieures.

Une atteinte grave aux conditions d’éclairement suppose une obstruction significative de la lumière et non une simple diminution de la luminosité – CE, 20 octobre 2017, n° 399508- et, même si la construction a pour effet de priver les appartements situés dans des étages moins élevés des rayons directs du soleil, elle peut néanmoins être autorisée – CE, 22 novembre 2019 n°420948.

Le Conseil d’Etat se fonde alors sur un faisceau d’indices concordants pour démontrer l’absence d’atteinte grave aux conditions d’éclairement de l’immeuble.

Il est donc tenu compte de la destination des pièces, de leur qualité et de la configuration des appartements pour apprécier si la construction voisine porte réellement atteinte à l’éclairement général de l’appartement et peut être refusée au sens de l’article UG 7.1 du PLU de la ville de Paris.

En réalité les requérants ne disposaient pas ici de l’intérêt à agir dicté par l’article L.600-1-2 du Code de l’urbanisme : le projet n’était pas de nature à affecter directement “les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance” de leurs appartements.

Ces derniers, reprochent alors au pétitionnaire l’institution d’une servitude de cour commune avec le propriétaire d’une parcelle contigüe non bâtie.

Cette servitude permettait l’ouverture de vue en limite séparative.

Elle offrait alors la possibilité de repousser les limites séparatives prises en compte pour l’application des règles de prospect.

L’article UG 7.2 du PLU de la ville de Paris autorise les propriétaires de terrains contigus à constituer entre leurs bâtiments des cours communes.

Ici il s’agissait d’instituer cette servitude entre un bâtiment et une parcelle n’en comportant pas. Les requérants estimaient ces servitudes possibles, simplement, entre deux terrains bâtis et donc, en l’espèce, irréalisables.

Leur argument n’a pu prospérer.

En effet, l’article L.471-1 du Code de l’Urbanisme pose le principe de validité d’une telle servitude entre deux fonds que le terrain comporte ou non des bâtiments .

La servitude de cour commune instituée tant par le Code de l’Urbanisme que par le PLU de la ville de Paris a comme finalité d’aménager les constructions présentes et/ou à venir par rapport aux limites séparatives de deux propriétés adjacentes.

De telles servitudes, au demeurant instituées pour des projets de constructions futures auraient, peu ou pas d’utilité, si elles étaient constituées uniquement entre deux terrains déjà bâtis.

Le conseil d’Etat a donc validé le projet de construction et estimé que la convention de cour commune était conforme à l’article UG 7.2 du PLU de la ville de Paris , même si l’une des parcelles ne comportait pas de bâtiment.

L’utilité de la servitude de cour commune prend ici tout son sens.

Une telle servitude ne permet pas de s’affranchir des règles de distance instituées par le PLU.

Mais, elle permet néanmoins de prendre en compte, pour apprécier ces règles de distance, non seulement le terrain du propriétaire qui souhaite construire, tel que délimité par la limite séparative, mais également une partie de la surface du fonds voisin sur lequel la servitude est établie – voir en ce sens, Réponse ministérielle n°13002, JO Sénat, 14 mai 2020, p.2237.

La servitude de cour commune institue donc un juste équilibre entre l’intérêt général garantit par le respect des règles d’urbanisme et l’intérêt du propriétaire désireux de construire et d’aménager de manière pertinente sa parcelle.

La loi n°2023-175 du 10 mars 2023 : vers un coup d’accélérateur pour les projets éoliens?

Les opérateurs d’énergies renouvelables l’attendaient avec impatience et ce, depuis l’instruction de la Direction générale de l’Energie et du Climat du 16 septembre 2022 –  Instruction n° ENER2226074C- annonçant de nouvelles mesures législatives concernant le traitement des dossiers éoliens par les services de l’Etat.

C’est chose faite : la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 fut promulguée le 10 mars 2023 et, validée pour la plupart de ses dispositions, par une décision du Conseil Constitutionnel du 9 mars 2023 – décision n°2023-848. Il ne manque plus que ses décrets d’application.

Plusieurs dispositions de ce texte sont destinées à favoriser le développement de l’éolien et, entendent ainsi tenir compte des particularismes territoriaux.

Le législateur veut sécuriser les opérateurs en instaurant une présomption d’intérêt public majeur.

Selon, le nouvel article L.411-2-1 du Code de l’Environnement, les projets d’installations et de stockages de production d’énergies renouvelables bénéficieront d’une telle présomption lorsqu’ils satisferont aux différents critères légaux.

Les conditions de cette présomption seront définies par un décret en Conseil d’Etat.

Celles-ci seront établies, à la lecture de l’article L.211-2-1 du Code de l’Energie, en tenant compte “du type de source d’énergie renouvelable, de la puissance prévisionnelle totale de l’installation projetée et de la contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation des objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE)“.

Ce sont donc les futures dispositions du décret d’application qui vont rendre, en principe, moins difficile, la réalisation des installations et du stockage de l’énergie ainsi produite.

Dès lors, les projets éoliens, dans la lignée du règlement européen n° 2022/2577 du 22 décembre 2022, pourront bénéficier plus aisément d’une dérogation à l’interdiction de porter atteinte à des espèces protégées; prohibition instituée à l’article L.411-1 (I) du Code de l’environnement.

Cette dérogation n’est acquise que si le projet relève d’un “intérêt public supérieur”.

En effet, ces projets en tant que tels, présentent un risque caractérisé d’atteinte aux espèces protégées et/ou à leurs habitats. Si le risque existe, ils doivent faire l’objet d’une dérogation préfectorale.

L’article L. 411-2 du Code de l’Environnement subordonne l’octroi de cette dérogation à plusieurs conditions cumulatives : le projet sera justifié par une raison impérative d’intérêt public majeur, aucune solution de substitution ne doit être envisageable et la dérogation ne doit pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

Toutefois, l’octroi de cette dérogation suscite depuis longtemps un contentieux important, source d’insécurité pour les porteurs de projet.

Le Conseil d’Etat avait d’ailleurs rendu un avis le 9 décembre 2022 – avis n° 463563- énumérant les hypothèses pour lesquelles le pétitionnaire devait demander une dérogation tout en précisant les éléments d’appréciation dont l’autorité administrative devait tenir compte.

Pour autant, un tel avis était insuffisant dans le silence des textes pour apporter une sérénité suffisante en la matière.

Il était devenu indispensable, d’inscrire, dans le marbre, les conditions permettant à une installation de production et de stockage d’énergie renouvelable de bénéficier d’une telle dérogation.

D’ailleurs, le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 mars dernier, notamment, de ce point précis.

Il était reproché au nouveau texte et, donc à l’article L.411-2-1 du Code de l’Environnement, de ne pas respecter l’objectif constitutionnel de protection de l’environnement; compte tenu des effets nocifs possibles des installations sur la santé des riverains et sur les espèces protégées et leurs habitats.

Ce faisant, pour les sages de la rue Montpensier, le législateur a respecté, avec ce nouvel article, cet objectif de protection de l’environnement.

Certes, l’article 1er de la Charte de l’environnement dispose que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » mais, certaines limitations existent pour des motifs d’intérêts généraux et si elles sont proportionnées à l’objectif poursuivi. Ces limitations permettent d’autoriser, entre autres, un projet éolien.

Au-delà de cette présomption, le législateur a aussi entendu lever les blocages des opérateurs installant les radars de l’Armée ou de la Direction générale de l’Aviation civile – dont l’opposition à l’installation d’éoliennes est connue – à l’encontre des porteurs de projet éolien.

Un nouvel article L.515-45-1 du Code de l’Environnement incite les opérateurs éoliens à compenser la gêne provoquée par leurs projets sur les différents radars et ce, pour permettre une meilleure cohabitation entre radars et éoliennes. Ainsi, ces opérateurs peuvent prendre en charge l’installation et la maintenance d’équipements de compensation pour le fonctionnement des radars ou fournir des données d’observation à Météo-France.

Pour autant, la loi du 10 mars dernier comporte aussi des mesures de freinage et non d’accélération de l’éolien.

Un nouveau concept fait son apparition dans le texte de loi: celui de saturation visuelle.

Les autorisations environnementales devront, selon l’article L.515-44 du Code de l’Environnement, tenir compte « du nombre d’installations terrestres de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent déjà existantes dans le territoire concerné, afin de prévenir les effets de saturation visuelle en vue de protéger les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 »

Cette notion est subjective : elle a la particularité de se situer à mi-chemin entre l’objectif de préservation des paysages et celui de protection de la commodité du voisinage, principes institués à l’article L.511-1 du Code de l’Environnement. Elle est aisément invoquée par les opposants et l’État pour s’opposer aux projets s’inscrivant dans une logique de densification éolienne – voir en ce sens, CAA DOUAI, 18 juillet 2022, n°21DA00632.

Il est à craindre, que ce concept de “saturation visuelle” donne lieu à de nombreux contentieux.

Au surplus, chaque schéma de cohérence territorial devra l’intégrer dans sa partie réglementaire, au titre des orientations en matière de préservation des paysages – article L.141-1 du Code de l’Urbanisme.

Enfin, la loi crée des zones d’accélération des énergies renouvelables – article L. 141-5-3 du Code de l’Energie.

Une fois ces zones créées, chaque commune dispose d’un droit de véto sur son territoire pour s’y opposer. Certaines d’entre elles, défavorables à l’éolien pourraient l’exercer pour interdire ou freiner l’avancement des projets.

A la question, de savoir si cette loi est un réel coup d’accélérateur pour les projets éoliens, la réponse semble en demi-teinte : les mesures telles qu’elles sont annoncées vont certainement permettre de concilier plus aisément les intérêts environnementaux et ceux propres aux parcs éoliens.

Elles vont aussi probablement faciliter l’intégration et la compréhension des projets au niveau des territoires et des acteurs locaux.

Mais, la création de zones d’accélération ou la notion de saturation visuelle risquent à nouveau de les entraver..

En la matière, concilier tous les intérêts en présence n’est décidément pas chose facile !

La sous-location de “courtes durées” : le locataire n’est pas exempté de responsabilité !

Le locataire de sa résidence principale à usage d’habitation – au sens de l’article 2 de la loi n°89-462du 6 juillet 1989 – peut sous louer ce bien, de “courte durée”.

Bien entendu, cette sous-location doit être autorisée par le bailleur – article 8 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989- puisqu’elle est, de principe, interdite.

A défaut, le bailleur peut résoudre le bail et, en outre, réclamer le versement de dommages et intérêts.

Il se voit aussi attribuer les fruits civils constitués par les sous-loyers.

Ils appartiennent au propriétaire, par accession, si la sous location n’est pas autorisée – Cass. 3ème civ. 12 sept. 2019, n°18-20727.

Cette solution, favorable aux bailleurs leur permet ainsi de recouvrir l’intégralité des sous-loyers perçus.

Néanmoins, un locataire autorisé peut, de facto, faire de la location meublée au même titre que le propriétaire du local.

D’ailleurs la question posée à la Haute Juridiction, le 5 février dernier, était de savoir si le locataire, dument avalisé à sous-louer un local meublé d’habitation – au sens de l’article 8 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989- peut se voir infliger une amende civile pour violation de l’article L.631-7 du Code de Construction et de l’Habitation.

En effet, dans les communes où le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation est soumis à autorisation, celle-ci devrait être, très logiquement, requise pour ce type de sous-location.

Il est ainsi précisé au dernier alinéa de l’article L.631-7 du Code de Construction et de l’Habitation : “le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage (…)”.

Et, l’article L.651-2 du même Code indique : “toute personne qui enfreint les dispositions de l’article L.631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50 000 € par local irrégulièrement transformé”.

Une lecture exégétique de l’article L.651-2 du Code de la Construction et de l’Habitation conduit inexorablement à la responsabilité du sous-locataire puisque “toute personne” peut être condamnée au titre de l’article L.631-7 du même Code.

La Haute juridiction répond alors positivement à la question de la responsabilité du locataire .

Elle approuve la Cour d’appel de Paris d’avoir affirmé qu’il appartient au locataire de s’assurer de l’autorisation du changement d’usage et ce, même si au terme du contrat de location, le propriétaire lui garantit la licéité de ce type de sous-location.

Pas à pas le régime juridique de la sous-location, encadré par l’article 8 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et par les articles L.631-7 et suivant du Code de construction et de l’Habitation, se construit.

Concrètement deux situations peuvent se présenter.

Soit, la sous-location est régulière : le locataire a l’autorisation écrite du propriétaire pour sous louer – celui-ci peut, négocier alors, la perception d’une partie du loyer.

Et, il est alors tenu alors, sauf si le propriétaire a déjà l’autorisation et même si le logement loué est sa résidence principale, dans les communes concernées, de solliciter une autorisation au titre de l’article L.631-7 du Code de Construction et de l’Habitation.

Au surplus, si le conseil municipal du lieu du logement loué décide de soumettre à déclaration préalable au titre de l’article L.324-1-1 du Code du tourisme les meublés de tourisme , le locataire aura la responsabilité de cette déclaration. Mais celle-ci est facultative lorsque le local constitue la résidence principale du loueur et qu’il ne le sous-loue donc pas plus de 4 mois dans l’année.

Soit, la sous-location est irrégulière : le locataire n’a pas l’autorisation du propriétaire pour sous-louer et/ou il n’a pas respecté les dispositions légales sur le changement d’usage.

La commune a alors une action contre le locataire au titre de l’article L.631-7 du Code de Construction et de l’Habitation et va solliciter le paiement d’une amende civile.

Et, le propriétaire peut alors – au delà même de la résolution du bail- démultiplier la rentabilité de son bien en sollicitant le versement de l’ensemble des sous-loyers perçus irrégulièrement – voir Cass 3ème civile, 12 septembre 2019, n°18-20727.

Qu’on se le tienne pour dit : il n’est pas si simple, pour un locataire, d’exercer une activité de loueur de meublés car les autorisations sont multiples et les sanctions sévères.

Quant aux gestionnaires d’immeuble, ils sont exonérés de toute responsabilité au titre de la législation sur le changement d’usage : « celui qui se livre ou prête son concours à la mise en location, par une activité d’entremise ou de négociation ou par la mise à disposition d’une plateforme numérique, en méconnaissance de l’article L. 631-7, et dont les obligations spécifiques sont prévues par l’article L. 324-2-1 du Code du tourisme, n’encourt pas l’amende civile prévue » (Cass. civ. 3, 9 novembre 2022, cinq arrêts, n° 21-20.464, n°21-20.467, n°21-20.466, n°21-20.465, n°21-20.468.

Une nouvelle déclaration obligatoire, avant le 1er juillet 2023, pour les propriétaires de locaux d’habitation !

Depuis le 1er janvier 2023 et avant le 1er juillet de chaque année, les propriétaires, personnes physiques ou morales de biens immobiliers, sont tenus de déclarer les modalités d’occupation de leurs biens et ce même s’ils sont vacants.

Cette nouvelle déclaration est née de la réforme de la taxe d’habitation instaurée par l’article 16 de la loi de finance n° 2019-1479 du 28 décembre 2019. Fut ainsi organisée la suppression, à terme, de cette taxe pour l’ensemble des résidences principales.

Ainsi, entre 2021 et 2023 est abrogée, de façon progressive, la taxe d’habitation de la résidence principale, pour les 20 % de contribuables y demeurant assujettis et ce, depuis le début de sa suppression en 2020.

Ces derniers bénéficient d’une exonération de 30 % en 2021 et d’une exonération de 65 % en 2022, avant sa suppression totale sur les résidences principales en 2023.

Cette taxe était initialement établie au nom des personnes qui ont, à quelque titre que ce soit, la disposition ou la jouissance des locaux imposables (art. 1407ode Général des Impôts).

Dans l’assiette de celle-ci, sont notamment compris, les locaux meublés affectés à l’habitation principale ou secondaire, ainsi que les locaux meublés conformément à leur destination et occupés à titre privatif par les sociétés, associations et organismes qui ne sont pas retenus pour l’établissement de la cotisation foncière des entreprises (CFE).

À compter des impositions établies au titre de 2023, seuls les locaux autres que ceux affectés à l’habitation
principale, à savoir les résidences secondaires, les locaux non affectés à l’habitation principale et les logements vacants, seront soumis à cette taxe.

Cette taxe est désormais la « taxe d’habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l’habitation principale ».

Une nouvelle obligation déclarative est donc instaurée pour permettre à l’administration d’avoir connaissance de l’usage des biens immobiliers et ainsi, émettre la taxe, le cas échéant, les concernant.

Elle fait l’objet d’une codification à l’article 1418 du Code Général des Impôts, en vigueur depuis le 1er janvier 2023.

Les propriétaires de résidences secondaires et autres locaux meublés, non affectés à l’habitation principale, seront tenus de faire cette déclaration par voie électronique à l’administration fiscale, avant le 1er juillet de chaque année.

Les informations transmises sont relatives à la nature de l’occupation de ces locaux (s’ils s’en réservent la jouissance) ou à l’identité du ou des occupants desdits locaux (s’ils sont occupés par des tiers).

En cas de manquement à cette obligation déclarative, d’inexactitude ou d’omission déclarative, une amende de 150 € par local pourra être appliquée (art. 1770 terdecies du Code Général des Impôts).

Une dispense de déclaration est néanmoins prévue lorsqu’aucun changement, dans les informations transmises, n’est intervenu depuis la dernière déclaration.

En d’autres termes, un propriétaire qui détient un bien immobilier à usage locatif ou une résidence secondaire ne sera pas tenu, une fois sa déclaration effectuée en 2023, de la réitérer avant le 1er juillet 2024 si la situation d’occupation du bien est identique. A l’inverse, si sa résidence secondaire est, après le 1er juillet 2023, louée à un tiers, une nouvelle déclaration sera nécessaire avant le 1er juillet 2024.

En pratique, sur le site des impôts, un nouveau service en ligne, nommé « Gérer mes biens immobiliers », est accessible depuis août 2021.

Il est utilisé pour dématérialiser les déclarations foncières, liquider les taxes d’urbanisme et permettre à chaque propriétaire d’avoir une vision de l’ensemble de ses propriétés bâties situées en France et de leurs caractéristiques.

Depuis le 1er janvier 2023, ce service permet de déclarer en ligne la situation d’occupation de ses biens immobiliers.

Il est donc nécessaire, pour ceux concernés, d’effectuer cette déclaration avant le 30 juin 2023 minuit !