La question est récurrente dans notre pratique et, l’inflation législative qui caractérise notre état de droit, mérite que l’on s’y arrête : une loi nouvelle peut-elle régir un contrat à exécution successive conclu avant son entrée en vigueur ?
Ce point délicat vient d’être abordé par la Haute juridiction en matière de baux commerciaux : les baux en cours, au jour de l’entrée en vigueur de la loi Pinel, peuvent-ils, alors qu’ils sont conclus sous l’empire de la loi ancienne, être soumis aux nouvelles dispositions, telles qu’issues de la loi n° 2014626 du 18 juin 2014 ?
C’est à cette interrogation, que la Haute Juridiction a répondu, dans une décision de la troisième Chambre Civile du 19 novembre 2020 – n° 19-20.405.
Cette décision est d’importance au vu des réformes législatives incessantes : nous sommes confrontés à des problématiques récurrentes d’application de la loi dans le temps.
Il s’agissait de savoir si l’article L. 145-15 du Code de commerce – tel que modifié par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014- était applicable à un bail conclu avant le 20 juin 2014 soit, avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel . Cet disposition légale répute, dorénavant, non écrites et non plus nulles, les clauses du bail ne respectant pas sa durée, les règles sur la révision du loyer, la clause résolutoire et la procédure de despécialisation.
La question était alors de savoir si la clause litigieuse était nulle ou réputée non écrite.
Cette distinction permettait, en l’espèce, de considérer l’action du plaideur comme prescrite ou non.
En effet, l’action tendant à voir prononcer la nullité de la clause est enfermée dans un délai biennal en application de l’article L.145-60 du Code de commerce alors que, l’action tendant à voir cette clause réputée non écrite est imprescriptible car la clause a jamais existé – Cassation, 1ère civile, 13 mars 2019, n° 17-23.169.
Dès lors, l’application ou non des modifications de la loi nouvelle, au bail commercial en cours, n’était pas sans conséquences.
Les Juges de droit sont alors revenus aux sources c’est à dire aux principes du Code civil sur l’application de la loi dans le temps.
Le principe de l’application d’une loi nouvelle aux contrats en cours est fixé par l’article 2 du Code civil : la loi nouvelle ne peut régir un acte juridique conclu sous l’empire du droit antérieur sauf si les nouvelles dispositions sont d’ordre public ou si elles régissent les effets légaux d’un acte juridique – Cassation, 3ème Civile, 8 février 1989, n° 87-18.046.
Une loi nouvelle s’applique donc, sans difficulté, aux situations juridiques nées après son entrée en vigueur.
Mais qu’en est-il des situations juridiques constituées avant son entrée en vigueur par des contrats à exécution successive et notamment par des baux commerciaux ?
L’on assiste, en réalité, à une application distributive des lois en présence : l’acte peut être régi par la loi nouvelle et demeurer régi par la loi ancienne.
Si la survie de la loi ancienne, en matière contractuelle, est de principe, elle est limitée par les effets légaux du contrat : ils sont régis par la loi en vigueur à la date à laquelle ils se produisent.
En d’autres termes, la loi nouvelle postérieure à la conclusion du contrat régit les effets spécialement attachés par la loi à un contrat en cours, sans pour autant être rétroactive.
En vertu de ce principe, les juges de droit ont estimé que l’article L.145-15 du Code de commerce – en ce qu’il répute non écrite la clauses de révision des loyers insérée dans le bail en violation des articles L.145-37 à L.145-41 du Code de commerce – était applicable à ce bail en cours, au jour de l’entrée en vigueur de ces modifications légales.
Il ne s’agit pas ici d’appliquer la loi nouvelle à des stipulations contractuelles, fruit de la volonté des parties, mais de l’appliquer aux effets d’un acte dont l’existence et le contenu sont déterminés par la loi en vigueur au moment où ils se produisent.
Avant cette décision de la troisième Chambre civile, du 19 novembre 2020, le droit positif s’était saisi de cette question.
Certains juges du fond estimaient qu’en ” application de l’article L. 145-9 du Code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 alors applicable le preneur pouvait donner congé par lettre recommandée avec accusé de réception” -CA Grenoble, 7 janvier 2016, n° 15/03438.
Les juges de droit de la troisième Chambre Civile indiquaient ainsi que l’article L. 145-7-1 du Code de commerce était applicable aux baux en cours, lors de son entrée en vigueur, sur les résidences de tourisme – Cassation 3ème Civile, 9 février 2017, n° 16-10.350. Une réponse ministérielle était allée dans un sens similaire – Question n° 93154 , JOANQ 31 mai 2016, p.4684.
Le droit positif autorisait donc que la loi nouvelle puisse intervenir dans les situations juridiques en cours.
A l’aune de chaque nouvelle disposition légale, cette question se révèle pour l’ensemble des actes à exécution successive et notamment pour les baux en cours et ce, peu importe leur nature – baux commerciaux, d’habitation, à long terme, emphytéotique…
La loi nouvelle n’est certes pas rétroactive, en vertu de l’article 2 du Code civil, mais elle peut-être d’application immédiate aux actes en cours.
Ainsi, l’application immédiate des dispositions nouvelles est envisageable pour les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisés.
Le praticien se doit alors d’acquérir certains réflexes : même si l’acte est antérieur à la loi nouvelle, les effets légaux de certaines de ses clauses seront régis par celle-ci.
Le bail en cours en témoigne : l’acte juridique est parfois contrasté.
Certes, il reflète la convention des parties : il est immuable et aucune loi nouvelle ne peut bouleverser ses clauses, antérieures à son entrée en vigueur, ni porter atteinte à des droits déjà acquis au jour de cette entrée en vigueur. C’est donc bien un acte de prévision.
Mai,s l’acte juridique dont l’exécution se déroule dans le temps, crée des conséquences juridiques légales dont la source n’est pas le contrat mais les dispositions légales qui lui sont applicables. Si celles-ci sont modifiées, les effets légaux de l’acte seront régis par la loi en vigueur à la date à laquelle ils se produisent.