La purge amiable des inscriptions : une procédure purement conventionnelle

La Cour de cassation s’est prononcée, pour la première fois depuis sa consécration légale, sur la nature de la purge amiable.

Mais, pour échapper à la procédure de purge forcée, la pratique notariale a imaginé une purge amiable, bien avant l’entrée en vigueur de la réforme du droit des sûretés par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, ordonnance qui lui a donné son assise légale.

Sa technique est simple : elle consiste en une répartition amiable du prix de vente de l’immeuble grevé d’inscriptions entre les créanciers inscrits et ce, au plus tard le jour de la signature de l’acte de vente et donc du paiement du prix par l’acquéreur.

Cette pratique use d’une clause connue de notre profession : la clause de nantissement séquestre. Elle permet d ‘assurer en toute sécurité le paiement des créanciers inscrits. Le prix de vente de l’immeuble est remis entre les mains du notaire, en sa qualité de séquestre, mandaté par le vendeur pour désintéresser les créanciers inscrits. Il devient ainsi indisponible à concurrence des sommes restant dues aux créanciers inscrits, dans la limite des montants garantis par les inscriptions et des frais liés aux opérations de mainlevée et de radiation.

Ce montage a été parfois mis à mal par la Haute Juridiction : elle estimait que le prix de vente de l’immeuble était, de plein droit, affecté au paiement des créanciers inscrits – Civ. 2ème, 15 janvier 1992, n° 90-18.206; Civ. 3ème , 8 janvier 1980, n° 78-13.257.

Tel n’est cependant pas le cas d’une vente classique.

Les acquisitions emportant purge de plein droit sont, en revanche, énumérées par des textes spécifiques : il s’agit, entre autres, d’une acquisition suite à une ordonnance d’expropriation – articles L.222-2 et L.222-3 du code de l’expropriation- , d’une vente sur saisie -article L.322-14 du code des procédures civiles d’exécution- ou d’une adjudication judiciaire ou amiable en cas de liquidation judiciaire – article L.642-18 alinea 2 et 3 du code de commerce.

Puis, les juges de droit reconnaissent qu’en l’absence de dispositions conventionnelles, les créanciers inscrits sur l’immeuble ne bénéficient d’aucun droit de préférence sur le prix de vente de l’immeuble grevé – Civil, 3ème, 8 février 2018, n° 16-27.941.

Par conséquent, à défaut d’autorisation expresse en ce sens, le notaire ne peut se dessaisir du prix de vente au bénéfice des créanciers privilégiés et hypothécaires. Ces derniers conservent en revanche, à défaut de mainlevée de leurs inscriptions, leur droit de suite sur l’immeuble à hauteur des inscriptions nées du chef du vendeur.

La pratique notariale, par son imagination, a adopté un montage purement conventionnel permettant ainsi d’obtenir des effets similaires à la purge amiable actuelle.

Cette pratique a donc été entériné par la réforme des sûretés à l’article 2475 du Code civil : “lorsque, à l’occasion de la vente d’un immeuble hypothéqué, tous les créanciers inscrits conviennent avec le débiteur que le prix en sera affecté au paiement total ou partiel de leurs créances ou de certaines d’entre elles, ils exercent leur droit de préférence sur le prix et ils peuvent l’opposer à tout cessionnaire comme à tout créancier saisissant de la créance de prix”.

Sans passer par les voies d’exécution, le créancier peut bénéficier de la purge amiable lors de la vente de l’immeuble, si le vendeur en fait la demande et s’il donne son accord. Le créancier, aura tendance à accepter cette proposition lorsque le prix de vente permet qu’il soit désintéressé.

L’immeuble sera donc libéré de ses inscriptions par le paiement convenu aux créanciers inscrits.

Mais cette procédure conserve une nature purement conventionnelle : elle suppose au préalable un accord entre le ou les créancier (s) inscrit (s) et le débiteur.

Cet accord est le seul à permettre la mise en oeuvre d’une telle procédure.

Les parties ont intérêt à privilégier cette purge amiable : elle facilite l’exercice des droits des créanciers inscrits et permet au vendeur d’obtenir rapidement la part du prix de vente qui lui revient.

Mais faisant fi des avantages certains d’une telle procédure, les vendeurs décident – dans cette décision du 5 mars 2020 – de refuser de procéder à la purge amiable des inscriptions sur l’immeuble; alors même que le créancier a donné son accord.

Ils sont cependant condamnés en appel : les juridictions du fond estiment leur refus illégitime.

Puis, les juges de droit cassent l’arrêt d’appel et se prononcent, pour la première fois depuis la consécration légale de la purge amiable, sur son caractère facultatif.

Ainsi la procédure de purge amiable est aussi bien facultative pour le créancier que pour le vendeur. Si l’un deux la refuse, la purge sera réalisée autrement et de manière “plus brutale” : c’est la purge “forcée” de l’article 2478 du Code civil qui, à ce jour, est une procédure subsidiaire dans la pratique et dans la loi.

Il est donc dommageable tant pour le vendeur que pour le créancier que la purge amiable puisse se solder par un échec.

Mais, il est aussi de notre devoir d’inciter les parties à trouver un accord et à adopter cette procédure de purge. A défaut, il nous est impossible d’y procéder : sans l’accord du créancier et du vendeur, le notaire ne peut la mettre en oeuvre – Civ., 8 février 2018, n° 16-27.941.

La purge amiable est certes conventionnelle et donc facultative mais il nous appartient d’emporter la conviction du vendeur, pour qu’il l’adopte, dans son intérêt et, si le créancier, donne son accord.

Le bail commercial sur un terrain nu : à qui appartiennent les constructions futures ?

Certaines questions pratiques sont parfois déroutantes et viennent heurter nos convictions.

Tel est le cas du bail commercial sur un terrain nu, autorisé par l’article L.145-1 alinea1er , 2° du Code de commerce.

Un tel bail confère donc la possibilité au preneur d’édifier des constructions.

Là, est parfois l’étonnement.

L’édification des constructions par le preneur ne serait pas le seul apanage du bail à construction ou emphytéotique et pourrait apparaitre, au détour d’un dossier, dans d’autres baux parfois enregistrés et rarement publiés.

L’esprit s’étonne alors.

Ce bail n’est certes pas créateur de droit réel et pourtant… l’immeuble construit appartient au preneur en cours de bail et le terrain, au bailleur

Celui-ci impose souvent une destination précise et limite la cession du bail à un cédé ayant une activité similaire, avec son agrément, ou du moins, son intervention à l’acte. Et pourtant, le preneur est en cours de bail, propriétaire des constructions – Civile, 3ème 22 mars 2018, n° 17-15830 .

D’ailleurs, ce bail n’est pas en tant que tel créateur d’un droit réel reconnu par les textes et opposable aux tiers par sa publicité.

En revanche, il fait bien souvent référence au articles L.145-1 du Code de commerce; le cas échéant porte sur une activité industrielle et commerciale, a une durée de neuf ans, est résiliable par le preneur, par période triennale et, son processus de renouvellement,calqué sur celui des baux commerciaux.

Mais alors, rencontrant un tel bail, le notaire se doit de résoudre une question cruciale : à qui appartiennent les constructions ? Au bailleur ou au preneur? Et, si le bailleur entend vendre sa propriété, cette vente porte t’elle sur un terrain nu ou sur un terrain bâti?

Le dilemme n’est pas sans conséquences.

C’est le droit commun de l’accession ou le cas échéant, une clause dans le bail qui règlera le sort des constructions.

Dans le silence du bail, le droit des biens nous vient en aide.

L ‘article 555 du code civil règle le sort des constructions et ouvrages faits par un tiers sur le terrain d’autrui. Cette disposition est, bien entendu, applicable aux rapports entre propriétaires et locataires – Civile 3e, 10 nov. 1999, no 97-21.942.

Ainsi, « lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, sous réserve des dispositions de l’alinéa 4, soit d’en conserver la propriété, soit d’obliger le tiers à les enlever.

A la fin du bail le jeu de l’accession permet alors au bailleur d’être propriétaire des constructions à condition -suivant les termes de l’article 555 du Code civil alinea 3 – de les racheter. C’est là une différence essentielle avec les principes légaux qui régissent bail à construction et emphytéotique : le bailleur, sauf clause contraire, profite des constructions et des améliorations et ce, sans indemnité.

Cette même disposition offre la faculté au bailleur d’imposer au preneur de les détruire, à sa charge.

Mais l’article 555 du Code civil est supplétif de volonté et les parties ont pu conventionnellement régler autrement le sort des constructions.

Elles peuvent prévoir un remise des constructions au bailleur avec ou sans indemnité ou un démantèlement, à la charge du preneur et donc, une remise en l’état du terrain. L’on pense irrémédiablement aux parcs éoliens dont les baux créateurs de droits réels adoptent souvent cette dernière alternative.

Néanmoins, le plus souvent, en matière de bail commercial, le bailleur choisira de conserver, sauf cas particuliers, les constructions édifiées par le preneur sur son terrain.

Mais, alors une autre question surgit :

celle de savoir, dans le silence du bail, à quel moment, le bailleur est propriétaire des constructions.

Est-ce au moment du renouvellement du bail ou au terme de la libération des lieux ?

En effet, il est une certitude : le bail renouvelé est un nouveau bail en matière commercial car le bail précédent a cessé par l’effet du congé – article L.145-12 du Code de commerce et Assemblée Plénière du 7 mai 2004, Bull civil, n° 9.

L’enjeu pratique est important : si le preneur reste provisoirement propriétaire des constructions jusqu’à la fin de la jouissance, il ne risque pas une augmentation de loyer lors du renouvellement du contrat et, au fur et à mesure des renouvellements les preneurs successifs deviennent à leur tour propriétaires des constructions.

Ou, à l’inverse, si le bailleur devient propriétaire des ouvrages à l’expiration du bail, il peut, au moment du renouvellement, loué un terrain bâti et non plus un terrain nu et en augmenter le loyer .

La Cour de cassation a tranché cette question.

Elle estime que le bail commercial renouvelé constitue un nouveau bail :  les constructions reviennent donc au bailleur par le jeu de l’accession dès le renouvellement du bail – Civile, 3ème, 27 septembre 2006 ; n° 05-13.981 Civile 3ème, 21 mai 2014, n° 13-10.257.

Mais, à condition que le bail ne vienne pas conventionnellement décider que le jeu de l’accession sera reporté à la libération des lieux par le preneur; l’immeuble devenant libre de toute occupation. .

Dans cette dernière hypothèse, il est essentiel d’analyser ,si elles existent, la ou les cession (s) successive (s) de droit au bail : elles porteront sur le bail, souvent sur le fonds de commerce mais aussi sur les constructions.

Dans ce cas, une fois les lieux libérés, le bailleur retrouvera la propriété des constructions, par le jeu de l’accession, à charge de les racheter au preneur et à charge pour le dernier preneur en place de les avoir achetées au cédant.

Dès lors de deux choses l’une :

– soit les constructions sont revenues au bailleur dès le premier congé avec offre de renouvellement ;

-soit les constructions appartiennent toujours au preneur par le biais du bail, des cessions et renouvellement successifs et ne seront la propriété du bailleur qu’une fois l’immeuble libre de toute occupation.

Vente en l’état futur d’achèvement: retour sur une distinction d’importance entre secteur libre et protégé

Les montages de projets en VEFA nous amènent à avoir une idée claire et précise de la qualification des lots. De celle-ci se déduira le régime juridique de la vente : secteur libre ou secteur protégé.

Au fil du temps, le droit positif nous est venu en aide et des critères de distinction sont nés.

En pratique, il est nécessaire de s’interroger sur l’usage de la construction : un immeuble relèvera du secteur protégé, uniquement s’il s’agit d’un immeuble à usage partiel ou total d’habitation. A l’inverse, un autre usage constituera une vente en secteur libre.

Cette distinction, en apparence simple, s’avère parfois complexe au regard de la multitude de projet qui voient le jour.

L’article L. 261-10 du Code de Construction et de l’Habitation défini la vente en secteur protégé à l’aide de trois éléments : l’objet du contrat – transfert de propriété-, l’usage de l’immeuble -habitation ou mixte-  et l’obligation de verser des fonds avant l’achèvement. Ainsi “tout contrat ayant pour objet le transfert de propriété d’un immeuble ou d’une partie d’immeuble à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation et comportant l’obligation pour l’acheteur d’effectuer des versements ou des dépôts de fonds avant l’achèvement de la construction (…)”.

C’est alors, en premier lieu, l’usage du local qui détermine le champ d’application du secteur protégé : peu importe la qualité de l’acquéreur, le nombre de locaux acquis ou le mode d’exploitation.

La question posée apparaît simple : l’immeuble est-il ou non affecté à l’habitation ou est-il exclusivement destiné à une activité professionnelle ou commerciale ?

Une nuance s’impose : un usage d’habitation au sens du Code de la construction et de l’habitation ne doit pas être confondu avec la destination d’habitation au sens du Code de l’urbanisme.

Usage et destination sont deux notions distinctes.

Pour distinguer le secteur libre du secteur protégé, c’est l’usage qui compte et non la destination.

Le principe de l’indépendance des différentes législations applicables commande de considérer ces deux notions comme non fongibles et autonomes l’une par rapport à l’autre.

Ainsi, la Cour administrative d’appel de Versailles rappelle, dans une décision du 19 janvier 2006 – n° 04VE00237- à propos de la création d’un foyer destiné à l’hébergement des enfants en difficulté que “les dispositions du Code de la Construction et de l’Habitation ne sauraient, compte tenu de l’indépendance des législations applicables en matière de construction et d’urbanisme, être prises en compte pour déterminer si le projet comporte un changement de destination des locaux existants au sens des dispositions précitées du plan d’occupation des sols“.

Et, la circulaire UHC/DH2 du 22 mars 2006, n°2006-19 sur l’application des mesures relatives au changement d’usage des locaux d’habitation indique : “ le terme « usage » a remplacé le terme « affectation », ce dernier étant souvent source de confusion avec la notion de « destination » utilisée en matière de permis de construire” (art.I.1)

Par conséquent et ce, même si les surfaces telles qu’indiquées dans le permis de construire sont à destination d’habitation, cela n’induit et ne prouve en aucune façon qu’un tel usage est celui qu’il faudrait retenir pour l’application de l’article L.261-10 Code de Construction et de l’Habitation.

La destination d’habitation est donc distincte de l’usage d’habitation tel que défini dans le Code de Construction et de l’Habitation.

D’ailleurs, si l’opération emporte acquisition de locaux qui seront effectivement utilisés à usage d’habitation, seule une vente soumise aux règles du secteur protégé pourra être conclue;  peu importe que les locaux destinés à l’habitation soient situés dans un immeuble, allant faire l’objet d’une exploitation commerciale

Ainsi, la vente d’une résidence pour séniors, destinée à être mise en exploitation dans le cadre d’un bail commercial, relève du secteur protégé, dès lors que les locaux sont loués meublés et accueillent la résidence principale de ses occupants – Cassation, 3ème Civile., 7 janvier 2016, n°14-29655 et 14-29676.

Dans ces décisions, les hauts Magistrats relèvent notamment “que (…) les lots vendus étaient des appartements meublés à usage d’habitation principale, avec chacun salle de douches, toilettes, cuisine, destinés à être habités à l’année par des personnes âgées, la Cour d’appel a pu en déduire que l’usage d’habitation des locaux vendus était caractérisé et que l’article L.261-10 du Code de la construction et de l’habitation était applicable ».

Il en est de même lorsque le contrat de réservation a pour objet la vente d’une partie de l’immeuble à usage d’habitation avec mise en place d’une copropriété, comme le reflète ensuite l’acte authentique de vente précisant que les lieux vendus sont à usage d’habitation – Cass. civile 3ème, 23 mai 2019, n° 17-17.908.

A l’inverse, une résidence dans laquelle “les pensionnaires” font uniquement des séjours temporaires fera l’objet d’une vente en secteur libre.

Tel est d’ailleurs le critère utilisé par les juges du fond pour les immeubles à usage touristique.

L’immeuble à usage hôtelier fait parti du secteur libre – CA Pau, 12 janvier 2017 , n°14/04634 ; CA Versailles, 17 juin 2019, n° 17/04516 – même donné à bail pour sa gestion; sauf, bien entendu si la consistance des logements permet une habitation pérenne. L’article L.631-7 du Code de construction et de l’habitation dernier alinea reflète cette position : les courts séjours répétés du type location en airbnb, relèvent d’un usage autre que l’habitation.

En pratique, si les lots vendus ne sont pas de l’habitation totale ou partielle au sens du droit positif, la vente sera alors soumise au secteur libre.

Les ventes du secteur libre apparaissent comme des formes édulcorées de ventes d’immeubles à construire et se rapprochent des ventes de droit commun.

Le secteur libre permet, en effet, de revenir à la liberté contractuelle et au principe d’autonomie de la volonté.

Les règles du secteur protégé ou certaines d’entre elles pourront donc être choisies librement par les parties car elles ressortent- en dehors de leur champ d’application impératif – de la liberté contractuelle.

Par conséquent et à l’analyse, alors même que nous nous situons dans le secteur libre, nous avons la possibilité d’opter pour l’application de règles du secteur protégé, plus protectrices de l’acquéreur immobilier. Ce choix sera dicté souvent par des intérêts économiques et commerciaux et il peut s’avérer efficace.

Si la rédaction de l’acte indique expressément le choix volontaire de se soumettre à un telle ou telle règle du secteur protégé, alors que la vente est en secteur libre, le contrat de vente ne sera pas requalifiable en vente d’un immeuble à usage d’habitation en secteur protégé.

Et, sur ce point notre plume se doit d’être claire et précise.

Contrat de séparation de biens et obligation de contribution aux charges du mariage : une obligation d’ordre public

Lors de la liquidation d’un régime séparatiste, les praticiens sont bien souvent confrontés à des conjoints qui paient plus que leur proportion et rétribuent la part de l’autre époux, d’une manière plus ou moins significative.

Et, certains époux, vont solliciter le remboursement d’une créance, estimant avoir financé plus que de raison la vie maritale et, avoir largement dépassé leur contribution aux charges du mariage.

Face à une telle demande, les seuls textes du code civil sont insuffisants pour guider le praticien.

Et, la Première Chambre civile de la Cour de cassation a, pas à pas, poser avec cohérence, les règles en la matière.

Dernièrement, dans une décision du 13 mai 2020 , la Cour de cassation affirme qu’aucune convention peut dispenser les époux de leur obligation de contribuer aux charges du mariage.

En l’espèce, le contrat de séparation de biens insérait une clause fréquemment utilisée dans ce type de contrat de mariage suivant laquelle “chacun des époux sera réputé s’être acquitté, jour par jour, de sa part contributive aux charges du mariage”.

Par principe, les charges du mariage doivent être assumées par les époux « à proportion de leurs facultés respectives » (art. 214  du code civil).

Elles comprennent les dépenses indispensables de logement, de nourriture, de vêtements et de transports, mais également les frais d’entretien et d’éducation des enfants communs.

Toutefois, il est loisible aux époux de prévoir, dans leur contrat de mariage, une clause prévoyant une répartition différente.

Pourront aussi être précisées dans l’acte certaines dépenses autres considérées, par les parties, comme relevant de la contribution aux charges du mariage.

Ces clauses visent le plus souvent le remboursement des mensualités de l’emprunt souscrit pour acquérir le logement familial ou, plus généralement, toutes les dépenses financées par l’un des époux à l’aide de ses deniers personnels concernant ledit logement ou tout autre bien acheté en indivision.

L’objectif est d’éviter ainsi, dans la mesure du possible, le contentieux récurrent des créances entre époux, rencontré en cas de divorce, dans la liquidation des régimes séparatistes.

Cette clause dite de “présomption de contribution aux charges du mariage” a donné lieu à un contentieux abondant.

Depuis une décision du 25 septembre 2013 (N°12-21.892), la haute juridiction est venue préciser qu’il s’agissait d’une présomption irréfragable interdisant tout recours d’un époux estimant avoir contribué plus que de raison aux charges du mariage.

Néanmoins, cet arrêt a été le premier d’une longue série de décisions précisant les effets de cette présomption : son caractère irréfragable n’empêche pas l’époux de rapporter la preuve contraire même si, celle-ci s’avère délicate. En effet, c’est aux juges du fond d’apprécier la portée exacte de cette clause, en fonction de la volonté des parties et des circonstances de chaque espèce.

Ainsi cette clause laisse la possibilité à celui qui estime avoir trop payé de le prouver mais lui interdit d’invoquer le fait que le conjoint à la place duquel il aurait payé n’a pas assez contribué aux charges (Civile, 1ère 7 février 2018 n° 17-13.276; 11 avril 2018, n° 17-17.457; 5 décembre 2018, 18-10.488). Le fait que la contribution soit excessive et ait excédé ses facultés contributives empêche en réalité la qualification de charges du mariage et permet à l’époux d’être remboursé. A l’inverse si le financement n’a pas excédé ses facultés, il relève de la contribution aux charges du mariage et aucune indemnité compensatrice ne pourra être réclamée (Civile, 1ère 7 février 2018) .

Mais la décision du 13 mai dernier portait sur une question nouvelle : la présence de cette clause empêche t-elle l’un des époux à contraindre l’autre à exécuter cette obligation ?

La réponse de la Haute juridiction est sans appel : la contribution aux charges du mariage est d’ordre public.

Peu importe la modalité de répartition de ces charges entre les époux, l’essentiel est de contribuer.

C’est exactement la règle édictée par l’article 214 du Code civil : la détermination des proportions de cette contribution relève de la loi sauf si les époux en décident autrement.

Toute répartition contributive est donc licite. C’est l’absence de contribution qui est illégale.

Et, cette obligation demeure lors d’une séparation de fait des époux et lors de l’instance en divorce. C’est d’ailleurs, depuis le 1er septembre 2020, au juge de la mise en état de décider de la durée maximale de la contribution aux charges du mariage, partie intégrante des mesures provisoires, en cas de divorce contentieux.

Dès lors, il est essentiel, lors de la rédaction des contrats de séparation de biens, de préciser aux époux les conséquences d’une clause de présomption de contribution aux charges du mariage et d’en préciser les contours : cette clause convient certainement pour les dépenses ordinaires et courantes mais elle peut devenir redoutable en présence d’autres dépenses, de nature différente, tel que l’acquisition d’un bien immobilier.

Au surplus, elle ne permet pas de s’abstenir de contribuer aux charges du mariage, obligation d’ordre public jusqu’au terme du lien marital.

Gestion des réserves foncières en milieu rural : les risques de l’abandon du projet d’aménagement.

Les projets d’aménagement naissent souvent des réserves foncières constituées par les personnes publiques.

Elles ont recours, à défaut de vente amiable, au droit de préemption et le cas échéant, à la procédure spéciale d’expropriation de l’article L.221-1 du Code de l’urbanisme à des fins de constitution de réserves foncières.

Les personnes publiques bénéficient alternativement de ces différents outils pour mettre en pratique leur stratégie de développement.

Une commune sans droit de préemption dans la zone voulue peut alors, utiliser la procédure d’expropriation.

Les réserves foncière ainsi constituées vont permettre de créer différentes opérations d’aménagements visées par l’article L.300-1 du Code de l’urbanisme telles que des zones d’aménagements concertées, des opérations de restauration immobilières, des lotissements, des remembrements…

De telles réserves répondent donc à une finalité précise et correspondent à des projets d’une ampleur et d’une complexité certaines.

Pour autant, pèse sur la personne publique propriétaire, une obligation : celle d’assurer une gestion raisonnable de la réserve foncière avant son utilisation définitive.

Et, lorsque la réserve foncière est en milieu rural, cette gestion prend souvent la forme d’une exploitation agricole.

Ces réserves foncières en milieu rural ont effectivement horreur du vide. Il est donc impératif de les exploiter pour les entretenir dans l’attente du projet.

L’article L.221-2 du Code de l’urbanisme autorise alors la conclusion de concession temporaire de terres agricoles.

Cette concession n’est pas un bail rural.

Le preneur ne bénéficie pas des dispositions du Code rural : c’est une convention exclue du statut du fermage en application de l’article L.411-2 du Code rural car conclue en application de dispositions législatives particulières issues du Code de l’urbanisme.

L’immeuble, au terme de cette occupation temporaire, sera repris pour faire l’objet de l’aménagement envisagé.

Cette reprise suppose le respect d’un préavis fixé par l’article L.221-2 du Code de l’urbanisme permettant ainsi de respecter les échéances de la récolte ou, le cas échéant, d’indemniser le preneur de sa perte.

La concession restreint donc les droits du preneur : elle lui confère une jouissance précaire justifiée par l’opération d’aménagement à venir.

Cette précarité se justifie par la réalisation future d’un projet d’aménagement sans qu’aucun délai de réalisation soit imposé.

De fait, le bénéficiaire exploitant de la concession détient “une simple servitude d’occupation temporaire” constituée dans un but d’utilité publique : celui de gérer l’immeuble rural dans l’attente de l’aménagement projeté.

Cette concession peut donc durer plusieurs années : celle-ci est simplement liée à l’aboutissement du projet d’aménagement dans un futur plus ou moins proche.

Mais que devient cette convention lorsque le projet d’aménagement envisagé est abandonné?

En d’autres termes, le preneur en place bénéficiaire d’une concession temporaire ne lui conférant aucun droit au renouvellement ou droit de préemption conserve t-il ce statut alors même que l’immeuble n’est pas affecté à l’opération d’aménagement ?

C’est à cette question que la Cour de cassation a répondu dans une décision du 27 février 2020.

En l’espèce, un établissement public foncier avait acquis des parcelles de terre en vue de la constitution d’une réserve foncière. Ces parcelles ont fait l’objet de concession annuelle temporaire pendant dix ans. Mais, l’établissement public abandonne le projet initial et envisage de céder les terrains, objet de la réserve foncière, à une société d’aménagement foncier et d’établissement rural. Il annonce donc aux preneurs en place qu’il est nécessaire de libérer les lieux.

Les exploitants agricoles contestent et revendiquent le statut du fermage.

La réserve foncière ne sera pas utilisée pour une opération d’aménagement : l’exclusion du statut du fermage, d’ordre public, n’a plus lieu d’être.

La Haute juridiction casse la décision d’appel et leur donne raison.

En effet, l’événement qui a donné lieu à la concession temporaire ne se réalisera pas.

Or, celle-ci était autorisée uniquement en fonction de cet aménagement futur.

A partir du moment où celui-ci disparait, le droit rural reprend ses droits et, le preneur peut alors revendiquer l’existence d’un bail rural puisque les conditions de celui-ci sont réunies.

En l’espèce, il s’agissait conformément à l’article L.411-1 du Code rural, d’une mise à disposition d’un immeuble à usage agricole, à titre onéreux, en vue de l’exploiter pour y exercer l’activité agricole

La Haute Juridiction relève l’abandon du projet d’urbanisme ayant justifié la constitution de la réserve foncière. Les immeubles ont donc perdu cette nature et les preneurs exploitants peuvent se maintenir dans les lieux et bénéficier d’un bail rural.

Ainsi, le preneur doté au départ d’une jouissance provisoire se retrouve, du fait de l’abandon du projet d’aménagement, avec la qualité de preneur à bail rural : le droit au renouvellement, le droit de préemption, la possible cession du bail à un membre de sa famille ou la transmission de celui-ci en cas de décès sont différents droits, qui lui sont alors acquis, de plein droit.

Cette décision est importante.

Le projet d’aménagement doit se situer dans les limites du possible et être mûrement réfléchi par les acteurs publics.

Un abandon de celui-ci fait perdre aux immeubles la qualité de réserve foncière. Il peut conduire inexorablement ces différents terrains ainsi acquis vers un avenir tout autre : celui d’une exploitation agricole, en faire valoir indirect, bien loin des préoccupations initiales d’aménagement….

Et, cet avenir peut, par le jeu du bail rural, perdurer dans le temps.