Démolition et violation des règles d’urbanisme : où en est-on ? L’exemple récent des parcs éoliens

Propos autour de la décision du 25 avril 2024, n° 24-10.256.

La procédure d’action en démolition de l’article L. 480-13 du Code de l’Urbanisme est souvent redoutée par les constructeurs.

La règle d’urbanisme peut être envisagée comme une contrainte par le constructeur, car elle pose des limites au droit de construire attaché au droit de propriété.

Dans le même temps, elle créé un véritable droit pour ceux qui contestent l’autorisation délivrée.

Ainsi, l’article L. 480-13 du Code de l’Urbanisme précise que lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire peut être condamné à la démolition, par un tribunal de l’ordre judiciaire, du fait de la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique, à condition d’une part que préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir ou que son illégalité ait été constatée par le juge administratif, et d’autre part, que la construction se situe dans certaines zones listées par l’article L.480-13.

Toutefois, le texte précise que même pour les constructions qui ne seraient pas situées dans ces zones, le représentant de l’Etat dans le Département a toujours la faculté d’engager l’action en démolition.

Le Conseil Constitutionnel a jugé que ces restrictions zonées à l’action en démolition respectent les articles 1er, 2 et 4 de la Charte de l’environnement (Décision n° 2017-672 QPC du 10 novembre 2017).

Mais la décision de la Cour de Cassation du 25 avril 2024 illustre parfaitement la difficulté d’application de la règle de l’article L.480-13 du Code de l’Urbanisme qui n’a que l’apparence de la simplicité.

Dans cette affaire, un préfet délivre un permis de construire pour édifier sept aérogénérateurs et un poste de distribution. Une déclaration d’ouverture de chantier et une attestation d’achèvement et de conformité sont régulièrement déposées.

Par la suite, le permis est annulé en raison de l’insuffisance de l’étude d’impact.

En dehors de la question prioritaire de constitutionnalité posée, qui n’a pas donné lieu à un examen par le Conseil Constitutionnel, les juges de droit en profitent pour affiner les conditions préalables au prononcé d’une démolition.

Certes, toute méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique peut servir de fondement à une démolition.

Celle-ci peut être imposée par le biais du juge répressif, par application de l’article L.480-5 du Code de l’Urbanisme : le juge pénal a la faculté d’ordonner la mise en conformité des lieux ou celle des ouvrages avec les règlements, la démolition des ouvrages ou encore la réaffectation du sol.

Également, une action civile propre aux communes et aux EPCI compétents est instituée par l’article L.480-14 du Code de l’urbanisme, et ouvre à ces derniers une action en démolition prescrite par dix ans à compter de l’achèvement des travaux.

Quant aux tiers intéressés, c’est à eux que s’adresse l’article L.480-13 du Code de l’Urbanisme.

Cependant, la condamnation à démolir susceptible d’être prononcée par le juge judiciaire sur le fondement de l’article L. 480-13, n’est pas subordonnée à la seule condition que le permis de construire délivré ait été annulé.

L’article L.480-13 du Code de l’Urbanisme  suppose du demandeur à l’action qu’il démontre avoir subi un préjudice personnel en lien de causalité directe avec la violation de la règle d’urbanisme méconnue.

Cette affirmation de la Cour dans l’arrêt du 25 avril 2024 vient conforter une décision rendue en 2023 (Cassation civile 11 janvier 2023, n°21-19.778).

La Haute juridiction avait en effet apporté en 2023 une série de précisions d’importance sur les modalités de mise en œuvre de l’action en démolition des tiers :

Le demandeur à l’action doit démontrer qu’il subit un préjudice personnel directement causé par la méconnaissance des règles d’urbanismes ou des servitudes d’utilité publique.

Par ailleurs, elle avait estimé que les juges du fond doivent ordonner la démolition dès lors que les deux critères suivants sont établis : le permis a été annulé sur le fondement de la méconnaissance des règles d’urbanismes ou des servitudes d’utilité publique applicables à la zone dans laquelle se trouvent les constructions ; et les constructions sont bien situées dans l’une des zones listées par le texte. En d’autres termes, il n’y a pas lieu d’établir une seconde fois la violation d’un régime particulier de protection propre à cette zone.

Dans l’arrêt du 25 avril 2024, les juges de droit font un pas vers une appréciation plus factuelle des normes applicables.

Ils estiment ainsi qu’il relève de l’office du juge judiciaire de vérifier si, à la date à laquelle il statue, la règle d’urbanisme dont la méconnaissance a justifié l’annulation du permis de construire est toujours opposable au pétitionnaire.

Si le pétitionnaire a régularisé la situation au regard des règles désormais applicables, le juge judiciaire doit statuer au regard de ces nouvelles règles d’urbanisme.

L’élaboration de différents régimes de régularisation des constructions se poursuit. Il peut en effet paraître excessif de solliciter la démolition d’une construction régularisée à l’heure où le juge statue.

Cette décision se fait ici l’écho de la règle posée à l’article L.600-5-1 du Code de l’Urbanisme selon laquelle le juge doit sursoir à statuer sur une demande en annulation d’une autorisation d’urbanisme, si la situation est régularisable.

La codification du trouble anormal de voisinage par la loi n°2024-346 : vers une limitation des contentieux dans le domaine de la construction.

La loi n° 2024-346, du 15 avril 2024, visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels, vient de codifier la théorie des troubles anormaux du voisinage.

Le nouvel article 1253 du code civil, en vigueur depuis le 17 avril 2024,  est ainsi rédigé : « le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte ».

Cette responsabilité ne peut être engagée lorsque le trouble anormal existait avant l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien, ou lorsque le trouble provient d’une activité agricole.

Longtemps fondée sur les dispositions des articles 544 et 1240 du Code civil, la formule selon laquelle « nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage » est aujourd’hui un principe général du droit autonome, depuis une décision de la Cour de Cassation du 19 novembre 1986 – n° 84-16.379.

En pratique et avant le 17 avril 2024, les juges exigeaient simplement que la victime agisse contre l’auteur du trouble (Cass. 3ème civ, 21 mai 2008, n° 07-13769)  en imposant un lien de causalité entre le trouble et la mission de l’auteur (Cass. 3ème civ. 9 février 2011, n° 09-71570). 

Le droit positif a donc permis d’intégrer en qualité d’auteurs responsables du trouble, les architectes, techniciens et même bureaux d’études jusqu’alors épargnés (Cass, 3ème civ,, 28 avril 2011, n°10-14516).  C’est ainsi que la jurisprudence a pu admettre l’action du voisin contre les constructeurs d’un chantier situé sur le fonds contigu au sien (Cass. civ. 3, 19 mai 2016, n° 15-16.248).

Les victimes du trouble avaient alors plusieurs responsables potentiels

Cette action est en effet redoutable pour plusieurs raisons.

Il s’agit d’une responsabilité objective. La preuve de l’absence de faute du voisin est indifférente. Quant à la notion de trouble, elle est subjective, et protéiforme –  bruit, odeur, poussière, construction, végétation, glissement de terrain, eaux de pluie….- et seule l’anormalité du trouble importe et ce, même si il n’existe qu’un risque de dommage (Cass, 3ème civ. 1er mars 2023, n°21-19716).

Or la qualification de ce qui est normal ou non est susceptible d’interprétations divergentes, et la normalité est une notion évolutive.  

Enfin, cette action à l’encontre des constructeurs était une véritable aubaine pour les voisins et autres tiers ayant subis un dommage du fait de l’immeuble en construction (Cass, 3ème civil, 16 janvier 2020, n° 16-24352).  N’étant pas lié avec le constructeur  par un contrat de louage d’ouvrage, le voisin ne peut se prévaloir de la qualité de maître d’ouvrage et agir sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs (article 1792 et suivants du Code civil)  dont le délai de forclusion est de 10 ans à compter de la réception des travaux.

Il ne restait donc plus que l’action sur le fondement du trouble anormal de voisinage, car  tout chantier de construction peut occasionner des dommages.

Il est très rare, en effet, que les travaux occasionnés en vue de l’édification, de la transformation, de la rénovation ou de la réhabilitation d’un ouvrage immobilier puissent être organisés sans avoir une incidence, d’une manière ou d’une autre, sur le fonds voisin.

Les troubles engendrés à cette occasion peuvent être de différentes natures : ceux causés par l’activité du chantier qui peuvent affecter l’usage du bien (perturbation dans le fonctionnement des cheminées, des antennes de télévision…) ou les conditions de son existence (bruits, odeurs, poussières provoquées par les démolitions, fumées, difficultés d’accès…). Ceux qui provoquent des troubles aux immeubles contigus comme  la déstabilisation du sol ou des fissures dans les murs… Enfin, ce trouble peut encore résulter de la présence même de l’ouvrage qui, par exemple, vient obstruer la vue du fonds voisin.

Pour se protéger contre cette action éventuelle et l’extension à leur encontre du droit positif, les constructeurs avaient pris l’habitude d’insérer dans leur contrat une clause mettant la responsabilité pour trouble anormal de voisinage à la charge de l’entrepreneur ou du maitre de l’ouvrage.

Mais le nouvel article 1253 du code civil adopté,  c’est la voie de la sagesse qui l’emporte pour protéger les constructeurs d’une telle action.

Cette nouvelle disposition légale dresse une liste des auteurs « potentiels » de troubles de voisinage.

On ne sait pas encore si elle est exhaustive… Il appartiendra donc désormais au juge de trancher la question.

Mais il semble que les constructeurs en soient exclus puisque l’article fait expressément référence au maître d’ouvrage. Toutefois, l’article 1253 du Code civil n’empêchera pas l’action récursoire du maître d’ouvrage contre le constructeur.

Cette importante réforme entrainera de facto une modification des polices d’assurances.