Retour sur la décision du Conseil constitutionnel du 1er juin 2023 n° 2023-1051 QPC
L’héritier réservataire est-il tenu de déposer, en présence d’un légataire universel, une déclaration de succession dans les six mois du décès?
Le Conseil constitutionnel a répondu par l’affirmative, à l’occasion, d’une question prioritaire de constitutionnalité.
La doctrine administrative, il est vrai, est claire sur ce sujet.
Ainsi, « le délai fixé par la loi est le même pour tous. Il s’applique même aux héritiers ou légataires mineurs. Ce délai court du jour du décès, sans que l’administration ait à prouver l’acceptation des héritiers, donataires ou légataires. Le principe est applicable même lorsque les successibles contestent la validité du testament laissé par le défunt. Ainsi, en principe, tout héritier apparent doit déclarer la succession dans le délai légal, même s’il n’a pas encore obtenu la délivrance de son legs ou si la dévolution héréditaire est contestée »(V. BOI-ENR-DMTG-10-60-50, 30 oct. 2014, § 40).
Le seul cas particulier est celui de la contestation des droits successoraux pouvant donner lieu à un report du délai de l’article 641 du Code Général des Impôts et ce, à certaines conditions – Cass. com, 5 mars 1991, n° 89-18298.
Mais un légataire universel, est, dès le jour du décès, immédiatement saisi de l’intégralité de l’actif successoral.
L’héritier réservataire obtient, quant à lui, le règlement de sa réserve héréditaire par le paiement, le cas échéant, de l’indemnité de réduction lui revenant, lorsque ses droits sont déterminés.
Celui-ci a intérêt à fixer rapidement le montant de sa créance, afin d’éviter toute source de difficulté relative à l’état et la valorisation des biens à l’ouverture de la succession.
Mais, la fixation et le paiement de cette indemnité prennent du temps, même si les parties s’entendent à l’amiable.
Et, le délai afférent à la déclaration de succession reste, quant à lui, limité par la réglementation fiscale : l’application cumulatives des articles 724 alinéa 1 du Code civil et 641 et 1701 du Code Général des Impôts conduisent à un règlement des droits de succession dans un délai de six mois à compter du jour du décès.
Il apparait alors délicat de concilier ce délai de six mois et le temps réel de la succession !
En présence d’un légataire universel ces dispositions légales conduisent, dans certaines circonstances, l’héritier réservataire à payer les droits de succession avant le règlement de sa créance d’indemnité de réduction.
Même si héritiers et légataires se mettent d’accord et évitent ainsi un contentieux, le temps de l’accord est incompressible et dépasse souvent le délai légal de 6 mois.
Tel est le cas, dans cette décision, du 1er juin 2023.
L’administration fiscale notifie aux héritiers une proposition de rectification, du fait d’un dépôt hors délai de la déclaration de succession – intérêts de retard et une majoration de 10 % .
Le dépôt a eu lieu après le délai de 6 mois en raison de la signature d’un protocole d’accord sur le montant de l’indemnité de réduction.
La question prioritaire de constitutionnalité est donc fondée sur l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 posant le principe d’égalité devant les charges publiques – Cass. com., 5 avril 2023, n° 23-40.001.
Ainsi, lorsque la perception d’un revenu ou d’une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource.
Dès lors, il apparait contraire à ce principe, d’obliger ici l’héritier à déposer la déclaration et à régler les droits dans ce délai légal de 6 mois.
Toutefois, le Conseil Constitutionnel estime qu’en présence d’un légataire universel, les héritiers réservataires sont tenus de verser des droits de succession au titre des biens non encore transmis et dont ils n’auraient pas encore perçu la contre-valeur imposable.
Ce n’est donc pas contraire à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme.
Les sages du Palais Royal considèrent que le versement de l’indemnité à l’héritier réservataire, retardé du fait de la présence d’un légataire universel, est sans incidence sur l’appréciation des capacités contributives de l’héritier .
S’agissant de l’héritier réservataire, créancier d’une indemnité de réduction, il ne peut donc pas différer l’exigibilité des droits de mutation afférents à sa part réservataire en invoquant le retard du légataire universel dans le paiement de sa créance.
Ainsi, il est dans l’obligation de verser le montant des droits dus alors même qu’il n’aurait pas encore reçu le paiement de sa créance.
Les héritiers réservataire peuvent-ils alors demander au légataire le remboursement des pénalités de retard payées à l’administration fiscale ?
La réponse est négative.
L’application exégétique des articles 1705 et 1709 du Code général des Impôts – désignant les débiteurs des droits de succession – conduit la Cour de cassation à considérer que le légataire universel ne peut être tenu du règlement des droits de succession d’un bien, dont il n’est pas le bénéficiaire final – Cass. 1re civ., 10 juill. 1990, n° 88-19.475.
La position de l’administration fiscale, confortée par le Conseil Constitutionnel, s’en trouve renforcée : elle ne tiendra pas compte des circonstances empêchant le redevable de transmettre la déclaration de succession dans les 6 mois du décès notamment lorsqu’il lui est impossible, dans ce délai, de connaitre le montant de l’émolument qu’il doit recueillir.
La question est alors de sécuriser l’héritier réservataire agissant en réduction du leg universel.
Ne pourrions-nous pas suggérer au législateur d’attribuer à l’héritier réservataire une sûreté sur les biens légués tant que sa créance au titre de l’indemnité de réduction n’est pas payée?
Légalement, il suffirait de modifier l’article 924 du Code civil en attribuant, par exemple, un droit de rétention sur ces biens au profit de l’héritier réservataire et ce, dans l’attente du paiement de sa créance ou, un privilège légal du fait de sa qualité d’héritier.
A défaut, l’on ne peut que constater la situation de fragilité dans laquelle se trouve cet héritier, contraint de payer des droits, sans pouvoir connaitre de manière précise leur étendue et le quantum de l’indemnité de réduction.