Bref propos sur la décision de la Cour de cassation du 18 mai 2022 (n° 20-22768).
L’article 206 de la loi n° 2015-990 du 6 aout 2015, codifié à l’article L.526-1 du Code de commerce, institue un principe d’insaisissabilité automatique, sans aucune formalité, des droits de l’entrepreneur individuel sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale.
Les créanciers de la procédure collective de l’entrepreneur ne pourront, en principe, si l’insaisissabilité est acquise avant le jugement d’ouverture, exercer une quelconque poursuite sur cet immeuble et ce, même s’il constitue, peu ou prou, à leurs yeux, le seul patrimoine “solvable”.
Ainsi, déçus bien souvent du peu d’actifs mobiliers permettant le remboursement de leurs créances, ils se heurteront à cette insaisissabilité.
Le régime de cette insaisissabilité dépend de la nature de l’immeuble : résidence principale ou autres biens fonciers (terrains, résidences secondaires, immeubles de rapport) de l’entrepreneur.
La première est insaisissable de plein droit, y compris, lorsque l’immeuble est utilisé seulement partiellement pour l’activité, ou lorsque l’entreprise y est domiciliée (art. L. 123-10 du Code de commerce). Cette insaisissabilité sera opposable à tous les créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’activité de l’entrepreneur.
Quant à ses autres biens fonciers personnels, l’entrepreneur pourra toujours les préserver des poursuites de ses créanciers professionnels en effectuant une déclaration notariée d’insaisissabilité (art. L. 526-1 alinéa 2 du Code de commerce).
Mais, s’il vend un immeuble déclaré insaisissable, seul le prix de vente de la résidence principale le sera et, uniquement, en cas de remploi, dans un délai d’un an, pour l’acquisition d’une autre résidence principale (art. L.526-3 du Code de commerce).
Dès lors, un entrepreneur qui vend un bien foncier, déclaré insaisissable, pour acquérir sa résidence principale, court le risque d’être saisi, par ses créanciers professionnels, sur le prix de vente du bien et ce, avant de le réinvestir dans sa résidence principale, de droit, non saisissable.
Mais quelle est donc la situation de l’entrepreneur en procédure collective et fraichement divorcé ?
Plus spécifiquement les créanciers de la procédure sont-ils toujours empêchés de saisir l’immeuble si, la volonté des parties et/ou un juge aux affaires familiales, attribue (nt) la jouissance exclusive de la résidence principale à l’épouse ?
De facto, l’entrepreneur perd sa résidence principale.
Si c’est avant l’ouverture de la procédure collective, il y a fort à parier que cet immeuble (même si c’est un bien commun des époux) sera saisissable par les créanciers de la procédure pour les dettes nées lors de l’activité professionnelle.
C’est à cette question que répond la Cour de cassation dans sa décision du 18 mai 2022. Et, la réponse est limpide.
L’effet réel de la procédure collective permet d’inclure l’immeuble, lors de la liquidation, dans la cession des actifs
Le patrimoine du débiteur est figé au moment du jugement d’ouverture : le caractère saisissable ou non de l’immeuble s’apprécie au moment de l’ouverture de la procédure collective (Cass. com., 29 mai 2019, n° 18-16097) .
De deux choses l’une :
Si, à la date du jugement d’ouverture de la procédure, l’immeuble n’est plus la résidence principale de l’entrepreneur, en raison des effets du divorce, ce bien est saisissable : il devient alors un actif réalisable et pourra être cédé lors de la liquidation judiciaire ou, en amont, au cours d’un plan de sauvegarde ou de redressement voire même, pendant la période d’observation. Saisissable par tous les créanciers de l’entrepreneur individuel, l’immeuble est, à nouveau, le gage commun de ces derniers.
Si au moment du jugement d’ouverture, l’immeuble est toujours la résidence principale de l’entrepreneur, il demeure insaisissable par les créanciers de la procédure. Pour cet immeuble, la procédure collective n’existe pas.
Bien entendu, si l’entrepreneur conscient de ses difficultés financières effectue, sur ses autres biens fonciers, des déclarations notariés d’insaisissabilité, le risque de nullité est réelle en procédure de redressement et de liquidation. De telles déclarations sont nulles pendant la période suspecte telle que décidée par le Tribunal (art. L.632-1 (13) du Code de commerce) ou dans les six mois précédant la date de cessation des paiements (art L. 632-1 II du Code de commerce).
Dès lors, un bien saisissable ou insaisissable au jour de l’ouverture de la procédure, le demeure, le temps de la faillite
Mais qu’advient t-il si l’immeuble devient saisissable après l’ouverture de la procédure du fait d’une instance en divorce ? L’hypothèse est celle de l’entrepreneur individuel qui quitte sa résidence principale après l’ouverture de la procédure. L’effet réel de la procédure collective commande que cette insaisissabilité demeure le temps de la procédure.
Mais, si l’épouse s’est vue attribuer un immeuble devenu saisissable par le départ de son conjoint, la question posée est, pour elle, cruciale : elle risque de perdre son logement.
En effet, le liquidateur a alors le pouvoir d’agir en licitation et partage.
Le droit des procédures collectives s’invite ainsi dans notre pratique notariale : il s’impose à nous et nous nous devons d’être conscients des enjeux.
Il est nécessaire de les entrevoir pour permettre aux clients d’organiser au mieux leur séparation, le temps du déroulement de la procédure.
L’entrepreneur doit rester dans l’immeuble s’il veut le faire échapper aux créanciers de la procédure.
Le conjoint désireux de bénéficier de la jouissance exclusive de la résidence de la famille doit être patient : voulant l’obtenir dans l’immédiat, il court alors le risque de devoir s’en défaire.
Les discussions sur l’insaisissabilité de la résidence principale ont encore de beaux jours devant elles : la récente loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante (loi n° 2022-172 du 14 février 2022) en sera, un nouvel exemple, sans doute possible.