Propos autour de la décision de la Cour de cassation du 13 juin 2024 n°23-11.053
Par un arrêt du 13 juin dernier, publié au Bulletin, la troisième chambre civile de la Cour de cassation énonce pour la première fois qu’un local affecté à usage d’habitation, à la date du 1er janvier 1970, ne perd pas cet usage lorsqu’il est ultérieurement réuni avec un autre local, quel que soit l’usage de ce dernier.
Le changement d’usage des immeubles d’habitation est réglementé.
Ce régime est issu du Code de la construction et de l’habitation (CCH) tel qu’indiqué aux articles L. 631-7 et suivants. Il concerne les villes de plus de 200 000 habitants, les communes des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, mais aussi celles qui s’y soumettent volontairement.
Dans ces différentes communes, le changement d’usage d’un local d’habitation vers un autre usage est, dans les conditions fixées par l’article L. 631-7-1 du CCH, soumis à autorisation préalable, avec ou sans compensation (la compensation désignant la transformation, en contrepartie, de locaux autres qu’habitation vers un usage d’habitation).
Il est à noter que seuls les locaux à usage d’habitation sont concernés par le dispositif d’autorisation préalable à leur modification.
Or l’établissement de l’usage antérieur du local est parfois compliqué . Afin de simplifier l’administration de la preuve, l’article L. 631-7, alinéa 3, du CCH, fixe la date de référence pour la détermination de l’usage du local au 1er janvier 1970, date d’un recensement des locaux et de leurs usages pour la mise à jour de l’assiette des impôts locaux, en application d’une réforme fiscale du 2 février 1968.
En effet, durant cette année 1970, chaque propriétaire avait dû souscrire une déclaration en vue de l’établissement du fichier : les déclarations « modèle H1 » (maison individuelle) ou « modèle H2 « (appartement) pour les locaux d’habitation ou à usage professionnel (en réalité à usage libéral) ; d’autres déclarations (C, ME ou U) existent pour d’autres usages. Le formulaire H2 est le plus courant, et c’est logiquement ce type de formulaire qui est souvent utilisé afin d’établir l’usage du local, lorsqu’il s’agit de démontrer à l’administration qu’il y a lieu (ou non) de solliciter une autorisation de changement d’usage.
La Cour de cassation a d’ailleurs récemment précisé – Cass. 3e civ.11 janv. 2024, n° 22-21.126 – que les mentions apposées sur un formulaire H2 souscrit après le 1er janvier 1970 sont inopérantes pour en établir l’usage d’habitation à cette date.
Cependant, un local issu de la réunion de deux lots, l’un affecté à usage d’habitation et l’autre non est-il toujours de l’habitation ?
Dans le cas d’espèce, la Ville de Paris avait assigné le propriétaire d’un appartement issu de la réunion de deux lots sur le fondement des articles L. 631-7 et L. 651-2 du CCH, afin de le voir condamner au paiement d’une amende civile pour en avoir changé l’usage en louant le local de manière répétée, pour de courtes durées, à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile. Par un arrêt du 10 novembre 2022 – CA Paris, 1-2, 10 novembre 2022, n° 22/02221- la Cour d’Appel de Paris a rejeté ses demandes.
Pour les juges du fond un local issu de la réunion de deux lots ne peut être considéré comme étant affecté dans son entier à l’usage d’habitation au 1er janvier 1970. Il peut donc être loué pour un autre usage sans autorisation.
La Cour de cassation censure l’arrêt de la cour d’appel de Paris.
La location d’un tel local pour de courtes durées constitue un changement d’usage et était soumise à autorisation.
Un principe est alors posé :
Un local affecté à un usage d’habitation au 1er janvier 1970 ne perd pas cet usage lorsqu’il est ultérieurement réuni avec un autre local, quel que soit l’usage de ce dernier.
Le changement d’usage du lot réuni est donc soumis à autorisation préalable.
La décision juge ainsi qu’un local constitué de deux lots, dont l’un à un usage d’habitation au 1er janvier 1970, reste d’habitation nonobstant sa réunion avec un autre local qui, lui, n’était pas affecté à un tel usage.
Le local le plus petit (autre que d’habitation) n’a donc pas été absorbé dans son usage par le local le plus grand (habitation).
En cette matière, l’usage accessoire ne suit donc pas l’usage principal.
La Cour de cassation ne se fonde pas sur l’accessoire. Par conséquent et à l’inverse, si le local d’habitation avait été le plus petit, il aurait donc conservé son usage.
La réunion des deux lots n’a donc aucun effet sur leurs usages respectifs.
Cette solution a le mérite d’éviter une fraude en permettant au propriétaire d’échapper à l’autorisation préalable en réunissant, le cas échéant, un local d’habitation et un local d’un autre usage.